Énergies renouvelables en Afrique subsaharienne : soutenir une dynamique fragile

1

Par Benjamin DENIS

La dynamique de déploiement des énergies renouvelables en Afrique subsaharienne est menacée par le risque de défaut de sociétés nationales d’électricité, trop souvent exsangues. Comment la protéger et la renforcer ?

La finance climat vise à soutenir les transitions bas carbone, elle concerne tous les secteurs de l’économie. Mais n’a-t-elle pas tendance à faire la part trop belle à l’un d’entre eux, celui de la production d’électricité d’origine renouvelable ? En Afrique subsaharienne particulièrement, ne risque-t-elle pas de générer, au sein des systèmes électriques, des déséquilibres à même de briser l’élan de la transition énergétique ?

Fragilité des sociétés nationales d’électricité

Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, les moyens consacrés au renforcement des opérateurs et à l’atténuation des risques de défaut sont insuffisants.

Les sociétés nationales d’électricité y sont, la plupart du temps, le client unique des centrales de production d’électricité d’origine renouvelable. Au Kenya, KPLC achète ainsi toute l’électricité produite par la centrale éolienne du lac Turkana. En Zambie, ZESCO est le client unique du parc solaire de Bangweulu, comme ENEO le sera bientôt pour la centrale hydroélectrique de Nachtigal au Cameroun.

Les contrats d’achat d’électricité que signent ces sociétés sont des engagements de long terme, garantissant le prix d’achat de l’énergie produite. Dans ce type de schéma, une rupture abusive des relations contractuelles peut briser l’élan de tout le secteur. Par la suite, les investisseurs restent longtemps rétifs à revenir sur les marchés ayant dysfonctionné.

En Europe, l’Espagne est un cas d’école. En 2012, les pouvoirs publics locaux, dépassés par le niveau d’investissement et les quantités d’électricité à acheter, ont mis en place un moratoire sur les énergies renouvelables. Ils ont révisé rétrospectivement les conditions des trop nombreux contrats d’achat d’électricité renouvelable entrés en vigueur, entraînant des pertes importantes pour les investisseurs et prêteurs. Résultat, ce n’est que très récemment que le pays a retrouvé la confiance des investisseurs du secteur des énergies renouvelables.

En Afrique subsaharienne, les compagnies d’électricité sont, en grande majorité, chroniquement déficitaires, les revenus qu’elles collectent ne couvrant pas leurs coûts de fonctionnement. Ainsi la société Electricité de Guinée supporte-t-elle un coût complet du kilowattheure estimé à plus de 30 centimes d’euros, alors que pour chaque kilowattheure vendu elle ne collecte que 8 centimes. Du fait de difficultés de trésorerie récurrentes, il n’est pas rare de voir ces compagnies d’électricité payer leurs fournisseurs avec un an de retard.

Or, la finance climat est elle-même porteuse de risque pour ces compagnies lorsqu’elle se concentre sur un nombre limité de projets de production d’électricité, de grande taille, qui sont financés en devises fortes. Ces projets disproportionnés déséquilibrent les réseaux et exposent les sociétés nationales d’électricité au risque de change. Certaines annoncent déjà qu’au-delà d’un certain niveau de dévaluation de leur monnaie nationale, elles cesseront d’honorer leurs obligations en devise.

Une série de défauts sur les contrats d’achat et de prêt signés par les centrales électriques vertes pourrait stopper la dynamique de transition énergétique initiée en Afrique subsaharienne. Pour éviter une telle menace, il est indispensable de s’appuyer sur des solutions de gestion des risques et d’intensifier les efforts en faveur des électriciens et de leurs réseaux.

Mieux distribuer les risques pour favoriser les énergies renouvelables

La finance climat doit ainsi accroître rapidement son offre de produits de derisking : il s’agit d’allouer les risques au mieux, en fonction des capacités spécifiques de chaque acteur, à travers des produits de garantie, des assurances et des collaborations public-privé. Si ces outils ne peuvent pas être une solution pour des projets mal conçus, ils permettent en revanche de se prémunir contre un scénario de défauts en chaîne.

Les risques techniques sont globalement vus comme étant de la compétence des industriels développeurs de centrales. À l’inverse, les professionnels du secteur appellent de leurs vœux la couverture, par des acteurs publics, des risques politiques et du risque de non-paiement de l’électricité. Par exemple, une banque régionale de développement pourrait s’engager à payer l’électricité produite par une centrale en lieu et place d’un électricien national si ce dernier faisait défaut, de manière à rassurer les investisseurs du secteur des énergies renouvelables.

Les instruments de derisking peuvent avantageusement se combiner pour diversifier les risques liés à l’acheteur d’électricité, en multipliant les clients des centrales d’énergies renouvelables, et pour mutualiser les risques de change de plusieurs géographies.

Si, à terme, l’objectif est bien d’avoir des secteurs de l’électricité fiables, solides et perçus comme tels sans appui extérieur, des outils de mutualisation des risques sont nécessaires à court terme, pour réduire la vulnérabilité de cette industrie aux possibles défaillances des électriciens nationaux.

En parallèle de ces efforts de gestion des risques, la finance climat doit permettre de concentrer les capitaux publics sur des travaux de fond, objets de partenariats de long terme entre les bailleurs du développement et les sociétés nationales d’électricité d’Afrique subsaharienne.

Intensifier les efforts en faveur des électriciens et de leurs réseaux d’énergies renouvelables

Les acteurs de la finance climat reconnaissent qu’aujourd’hui il s’agit moins d’accroître les financements publics pour les énergies renouvelables que d’attirer plus de capitaux privés (en devise locale) sur ce secteur. Les flux financiers publics, quant à eux, doivent être réorientés. Pour contribuer au mieux à la transition énergétique, ils doivent se concentrer sur la maîtrise de la demande d’énergie et sur l’adaptation au changement climatique, mais aussi sur les investissements engagés par les sociétés d’électricité pour renforcer leurs infrastructures de transport et de distribution.

Il convient en effet de moderniser les réseaux pour accueillir des énergies renouvelables intermittentes, qui produisent au fil du soleil ou du vent et qui réduisent l’exposition des électriciens à la volatilité des prix des carburants fossiles. Il s’agit aussi de diminuer leurs pertes techniques et commerciales. Des appuis en subvention, permettant de renforcer la gouvernance financière des sociétés nationales d’électricité, sont alors des leviers importants de viabilisation des électriciens, de leurs capacités de paiement et donc de transition énergétique.

Il est nécessaire d’articuler gestion des risques à court terme et travail de fond sur la résilience du secteur électrique. Les moyens consacrés à ces deux objectifs doivent être accrus, et pour cela être reconnus et encouragés par les méthodologies de comptabilisation de la finance climat. C’est là une étape nécessaire pour permettre à l’Afrique de financer plus vite l’accès universel à une énergie plus fiable et décarbonée.

Benjamin DENIS, Responsable d’équipe projet, en charge des sujets énergie au sein de l’équipe entreprises publiques et financements structurés à l’AFD        

Laisser un commentaire