Melaine Kermarc, chef de projet Forêt-Climat pour l’ONG Wildlife conservation society (Wcs), invité Afrique de rfi.fr, a, dans un entretien accordé à nos confrères expliqué que les ONG ont salué la création d’un fonds bleu pour le bassin du Congo à Oyo, au Congo-Brazzaville, sous l’impulsion notamment du président Sassou Nguesso, tout en attendant de voir quelles seront les actions concrètes qui seront mises en œuvre (l’interview a eu lieu avant le sommet du fonds bleu dimanche 29 avril 2018 à Brazzaville, la capitale congolaise avec le roi du Maroc comme invité d’honneur). Les financements se font encore attendre mais les ONG s’accordent sur une chose : la préservation du bassin du Congo est essentielle, à la fois pour la région et pour la planète.
Rassemblant 12 pays d’Afrique centrale (Angola, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo, RDC, Gabon, Guinée Équatoriale, Rwanda, Tchad, Tanzanie et Zambie), le projet a pour objectif affiché de préserver l’environnement de cette zone du bassin du Congo, tout en permettant un développement économique durable, davantage tourné vers l’eau.
Pourquoi est-il important de conserver, de préserver le bassin du Congo ?
Les forêts du bassin du Congo représentent quand même le deuxième massif forestier tropical au monde, après l’Amazone. Il faut savoir aussi que ce sont des forêts qui jouent un rôle très important au niveau mondial, dans la régulation du climat. Ce sont des forêts qui contiennent beaucoup de carbone et des forêts qui ont également une richesse biologique extraordinaire.
Ces forêts jouent par conséquent un rôle climatique mais aussi économique dans le maintien des populations. Il y a effectivement de grandes populations, en Afrique centrale, qui dépendent de ces forêts pour leur survie de tous les jours.
Par ailleurs, ces forêts peuvent permettre à des pays de se développer en exploitant le bois, par exemple. Elles sont également une source essentielle de services éco-systémiques, ce qui permet d’apporter de l’eau dans les rivières et permettre de faire tourner les barrages hydroélectriques ou encore d’alimenter les populations. Il y a des eaux qui sont très poissonneuses comme celles qui viennent du fleuve Congo.
Quelles sont les principaux risques qui pèsent sur le bassin du Congo ? Est-ce que c’est la déforestation ?
Oui, la déforestation est l’un des risques qui pèse sur ces forêts mais ce sont des risques qui peuvent varier grandement d’un pays à l’autre. Vous avez des pays comme le Cameroun, le Gabon ou le Congo Brazzaville où il y a de l’exploitation industrielle de bois et des plantations industrielles. Cela ne va pas forcément être le cas dans d’autres pays comme la République démocratique du Congo où on retrouve 60 % des forêts du bassin du Congo et où l’agriculture itinérante sur brûlis ainsi que la demande en charbon de bois des grands centres urbains est la principale cause de déforestation.
Il y a aussi d’autres menaces qui pèsent sur ces forêts. C’est le cas, bien sûr, du changement climatique et ce sont aussi des risques davantage liés à la biodiversité. Ainsi, la chasse non durable des espèces sauvages pèse fortement sur ces forêts où on voit la disparition de certaines espèces, principalement dûe à la demande en viande de brousse.
Vous disiez que le taux de déforestation, finalement, n’était pas si élevé si on relativise, en tout cas, dans ce bassin du Congo. Mais en revanche, le taux de déforestation est en augmentation ?
En comparaison avec l’Amazone ou l’Asie du sud-est – en Indonésie, on voit par exemple beaucoup de développement de plantations d’huile de palme – on a un taux de déforestation qui est relativement faible. Ceci étant, quand on regarde la superficie des forêts, ce sont des zones immenses de forêts qui disparaissent chaque année et c’est une déforestation qui est en train de s’accélérer.
Quels seraient, selon vous, les meilleurs moyens de préserver l’environnement ? Faut-il tabler sur l’économie durable ? Donner aux populations, par exemple, qui vivent de ces forêts, des moyens de se développer tout en préservant l’environnement ? Comment faut-il faire ?
C’est une question qui est complexe. Les réponses sont multiples, à tous les niveaux. Electrifier les centres urbains permet, par exemple, de réduire la demande en charbon de bois. Vous avez aussi des réponses d’un point de vue agricole comme le fait d’appuyer les populations avec les services d’extension agricole pour leur apprendre de nouvelles techniques afin d’entrainer un changement de comportement permettant de passer de l’agriculture itinérante sur brûlis vers des modes agricoles plus durables que sont l’agro-écologie, des rotations de culture ou encore l’agroforesterie.
Ensuite, vous avez des questions qui sont davantage liées au commerce international sur la traçabilité de certains produits. Faire donc en sorte que les produits – que ce soit l’huile de palme ou le cacao – puissent être tracés et soumis à des pratiques qui soient moins dommageantes des forêts et de l’environnement en général.
Il y a aussi la question des tourbières. Quand on parle du bassin du Congo et de la préservation de l’environnement, il y a une immense tourbière qui a été trouvée dans ce bassin. Le risque c’est que du carbone ne s’échappe. Est-ce que cette tourbière est une vraie menace, actuellement ?
Il faut remettre le tout dans son contexte. Aujourd’hui, ces tourbières sont très importantes. Ce ne sont pas les plus grandes tourbières au monde mais ce sont des tourbières qui, semblerait-il, sont très riches en carbone. Néanmoins, au jour d’aujourd’hui on sait encore peu de choses sur ces tourbières, au niveau de la RDC. Il faut faire beaucoup plus de recherches. Il faudrait tout d’abord mettre les moyens pour quantifier ces tourbières et pour comprendre quelle est la quantité de carbone qu’elles contiennent vraiment.
Ensuite, il faut comprendre que ces tourbières se trouvent dans la cuvette centrale. Aujourd’hui, contrairement à ce qui est dit, elles ne sont pas forcément en danger si elles ne sont pas dans les zones où il y a plus de déforestation. Elles sont principalement alimentées et maintenues par les pluies. Si ces tourbières venaient à s’assécher parce que la forêt est déforestée, par exemple en amont et que le fleuve Congo venait à réduire son cours, par le manque d’eau, eh bien là, on pourrait avoir de forts risques d’assèchement des tourbières et d’émissions de carbone. Donc, la problématique des tourbières est essentielle. Il faut continuer à l’étudier. Par contre, il faut vraiment prendre cette question des tourbières dans le contexte national et dans l’ensemble du biome forestier, dans le bassin du Congo.
Moctar FICOU / VivAfrik
Avec rfi.fr