Le changement climatique a de graves conséquences dans plusieurs secteurs notamment sur la multiplication des inondations et des sécheresses, l’élévation du niveau de la mer, le manque d’eau chronique, etc. À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau célébrée le 22 mars 2020, Isabelle La Jeunesse, maître de conférences en géographie à l’Université de Tours et chercheuse au CNRS-Citeres (réseau MIDI), coauteure des livres Facing Hydrometeorological Extreme Events : A Governance Issue (« Faire face aux événements hydrométéorologiques extrêmes : un problème de gouvernance ») et Changement climatique et le cycle de l’eau (2016), a expliqué, dans une interview accordée à RFI, la diversité des impacts du réchauffement climatique sur cette précieuse ressource, l’or bleu.
Comment le changement climatique affecte-t-il l’eau ?
Isabelle La Jeunesse : En fait, le changement climatique, c’est une accélération du cycle de l’eau. Plus il fait chaud, plus il y a d’évaporation et plus il y a de l’eau qui transite dans l’atmosphère. En théorie, il pleut donc plus à l’échelle de la planète. Mais cela de façon plus irrégulière, car le réchauffement induit une augmentation de la variabilité climatique. Or, cette variabilité fait que l’on peut moins prévoir les quantités d’eau de pluie qui représentent le renouvellement de la ressource en eau.
Les conséquences peuvent prendre différentes formes suivant les régions. La saisonnalité va être bouleversée, avec une plus grande variabilité des précipitations. On assiste aussi à une recrudescence des événements climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, vagues de chaleur). Enfin, dans les zones côtières, nous avons un phénomène d’élévation du niveau de la mer. Les impacts du changement climatique sur l’eau se font déjà ressentir.
Quelles régions vont être les plus touchées ?
Globalement, ce sera compliqué pour toutes les régions côtières en raison donc du risque d’élévation du niveau des mers. Les régions qui se réchauffent le plus, les régions polaires, sont aussi en première ligne. Leur cycle va être très rapidement bouleversé avec un impact très important : les permafrosts fondent, la végétation change, certains glaciers disparaissent, tandis qu’on assiste à une dilatation des masses océaniques.
Il y a ensuite ce que l’on appelle des « hotspots » climatiques [régions qui concentrent les effets du changement climatique, NDLR]. Comme le bassin méditerranéen où l’on assiste à la fois à une forte augmentation des températures et une baisse importante des précipitations. Et l’Europe est en train de se « méditerranéiser », c’est-à-dire que le climat méditerranéen remonte avec sa variabilité, ses événements extrêmes, ses périodes sèches un peu plus grandes.
Les zones tropicales vont, elles, se réchauffer plus lentement. Mais ce n’est pas pour ça que les conséquences seront moins violentes pour les populations. Car ce sont aussi les pays les moins développés et les plus vulnérables dans leur capacité à répondre aux conséquences du changement climatique*. Si l’on prend l’exemple de la zone du delta du Bangladesh, la pression démographique et le niveau de développement du pays sont tels, que des événements climatiques comme des inondations ont forcément des conséquences plus graves que chez nous.
Quelles conséquences cela a-t-il sur les populations ? Peut-on imaginer des migrations liées à la problématique de l’eau, par exemple ?
L’eau est importante, parce que c’est une ressource pour des usages humains (boire, se laver, cultiver) mais sa variabilité en tant que ressource dépend du territoire, des usages et de la capacité d’adaptation qu’on va avoir. Pour l’instant, les migrations sont plutôt politiques, mais l’on sait qu’il faut s’attendre à des migrations climatiques. Le problème n’est pas tant l’eau potable qui pourrait manquer. Ce qui inquiète, c’est l’eau nécessaire à la production agricole. Comment va-t-on produire toute la nourriture dont on a besoin dans ces conditions ? D’autant que ce sont les zones où il y a déjà le moins de ressources qui se développent le plus en termes de population (pourtour méditerranéen, Afrique et une partie de l’Asie).
Peut-on agir sur ce phénomène ?
Le levier principal, c’est réfléchir à ce qu’on produit et à la façon dont on produit : on sait que l’élevage et la production de viande consomment beaucoup d’eau par exemple. Au-delà bien sûr, l’urgence c’est de limiter le réchauffement pour tenter d’en atténuer les effets sur l’eau, et d’être économe sur la ressource.
Indirectement, le changement climatique peut-il avoir des répercussions sur la qualité de l’eau ?
L’élévation de la mer entraîne, par exemple, la salinisation des nappes côtières – irréversible – et des terres. Au-delà d’un gramme par litre, l’eau n’est plus potable et il ne faut plus irriguer, parce que cela rend les sols infertiles au bout d’un moment.
Le changement climatique peut aussi avoir des répercussions sur le cycle anthropique de l’eau [la circulation de l’eau résultant de l’intervention humaine, NDLR] et ainsi affecter la qualité de l’eau potable. Les stations d’épuration sont souvent en zones inondables, par exemple. En cas d’inondation, les déchets risquent de se déverser dans l’eau. C’est réversible, mais cela peut aussi
contaminer les sources d’eau potable. Dans certains pays, on sait que les grandes inondations sont synonymes de retour du choléra. Par ailleurs, moins il y a d’eau dans une rivière, moins les potentiels polluants sont dilués et plus facilement les seuils de toxicité sont dépassés. Enfin, on sait que certains virus ou bactéries se réveillent passée une certaine température…
*Le GIEC définit la vulnérabilité comme « le degré par lequel un système risque d’être affecté négativement par les effets du changement climatique sans pouvoir y faire face ».