La promiscuité inédite entre les hommes et les animaux de la forêt profonde engendre de nouvelles maladies. Le coronavirus responsable de la pandémie de Covid-19 qui a débuté en Asie en est l’exemple le plus spectaculaire. Si, pour l’instant, aucune étude n’a clairement établi de lien direct avec un animal sauvage, le génome du SARS-CoV-2, à l’origine de l’épidémie, a été identifié comme étant à 96 % identique à celui d’un virus de chauve-souris (le RaTG13). Reste à déterminer comment il a franchi la barrière d’espèce avec l’homme.
Le pangolin, une espèce chassée dans les forêts du bassin du Congo, a d’abord été soupçonné d’être cet « hôte intermédiaire ». Mais cette piste est remise en cause aujourd’hui. « Le taux d’identité entre les séquences de SARS-CoV-2 et celles issues du pangolin n’atteint que 90,3 %, ce qui est bien inférieur aux taux habituellement observés entre les souches infectant l’humain et celles infectant l’hôte intermédiaire », déclarait en octobre le virologue Etienne Decroly, spécialiste des virus émergents au CNRS à Marseille. Reste que le risque de transmission de pathologies de l’animal à l’homme demeure élevé du fait de cette nouvelle promiscuité. Cela a été le cas pour le VIH (le virus du sida se serait transmis par voie sanguine après qu’un chasseur se fut blessé en coupant de la viande infectée dans la forêt du bassin congolais) ou pour le virus Ebola, qui se transmet par les fluides corporels.
« Malgré cela, les Congolais disent ne pas avoir peur de tomber malade en consommant de la viande de brousse », signale Karen Saylors, anthropologue américaine ayant travaillé plusieurs mois sur la transmission des maladies du gibier à l’homme. Dans son bureau à Kinshasa, la chercheuse explique :
« Les habitants ne croient pas que les animaux sauvages puissent transmettre des maladies, bien qu’il n’existe aucun contrôle sanitaire pour cette viande. Elle arrive dans les villes de manière informelle et est vendue directement sans être examinée par le moindre vétérinaire. »
Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre au marché du port fluvial de Ndolo, à Kinshasa. Allées boueuses, cohue spectaculaire, pousse-pousse chargés de marchandises, dockers pressés, motos pétaradantes, odeurs de fruits mûrs et de poissons salés, musique partout. Sous les parasols bariolés, les étals exposent tout ce qui peut être produit à l’intérieur du pays en termes de nourriture, débarquée des barges grabataires qui circulent tant bien que mal sur le fleuve Congo. Dans une allée, des échoppes vendent du porc-épic, du cochon sauvage, des quartiers de buffles, des petits singes, des tortues ou même de jeunes crocodiles encore vivants.
Surchasse et déforestation obligent, la viande de brousse est devenue une denrée rare ces dernières années en RDC. D’après le dernier « Rapport planète vivante » du Fonds mondial pour la nature (WWF), publié en septembre, les populations d’animaux sauvages ont chuté de 65 % en Afrique en l’espace de cinquante ans. Dans le seul bassin du fleuve Congo, entre 5 et 10 millions de tonnes de viande sont prélevées chaque année. Eléphants, rhinocéros, okapis, primates et quantité d’autres espèces y sont en grave danger d’extinction.
La demande, qui ne tarit pas à Kinshasa, incite les braconniers professionnels à intensifier leurs campagnes de chasse, sans respecter les périodes de reproduction ni aucune règle de pérennité des espèces. Devenue plus lucrative, la chasse commerciale se développe dans des proportions insoutenables, notamment dans le but d’alimenter les trafics qui s’intensifient à l’échelle mondiale. Le WWF estime que 3 millions de tonnes de gibier sont prélevées chaque année dans la forêt congolaise rien que pour ce commerce illégal. Le reste est consommé par les habitants des zones forestières ou, plus généralement, des villes.
« La chasse et le commerce de viande constituent les principales menaces pour 85 % des primates et des ongulés », avance le Belge Alain Huart, coordonnateur du programme agriculture et forêt du WWF.
Avec environnement-afrique.com