Les défis stratégiques de gestion des ressources en eau du Bassin du Congo

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Par le Professeur Raphaël Tshimanga Muamba

Le Bassin du Congo offre des opportunités pour la production et la satisfaction de nombreux biens et services, dont l’agriculture et la sécurité alimentaire, la pêche, l’hydroélectricité, l’approvisionnement en eau, le transport et le maintien des écosystèmes aquatiques.

Dans l’ensemble, le bassin a le potentiel de jouer un rôle de premier plan dans la coopération régionale en vue de réduire la pauvreté, tout en offrant des moyens de subsistance et des opportunités de revenus aux communautés. Le défi stratégique pour l’avenir est, par conséquent, celui de garantir l’eau en quantité et qualité suffisante en vue de satisfaire les demandes concurrentielles croissantes pour les besoins agricoles, commerciaux, domestiques, environnementaux, et industriels. Ce défi inclut également le maintien de l’utilisation optimale des services des ressources en eau dans le contexte du changement climatique.

Dans notre étude de 2016 sur les opportunités de recherche en hydrologie dans le Bassin du Congo (voir nos publications sur: https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/2016RG000517/full), nous avons proposé une série d’hypothèses de recherche qui correspondent à des questions majeures de la dynamique des ressources en eau dans ce bassin. Ces hypothèses concernent : la source de l’eau de la Cuvette Centrale et la façon dont cette eau quitte la zone humide, l’écoulement généré par les pluies historiques, le lien entre le changement climatique et la relation pluie-débit générée par la « ceinture de pluie tropicale », la déforestation et la production d’énergie hydroélectrique, ainsi que la quantité de carbone émise par les eaux du Congo. Cette étude a illustré des exemples d’un éventail des problèmes liés aux ressources en eau qui touchent pratiquement la région du bassin du Congo et pour lesquels des solutions scientifiques efficaces doivent être trouvées.

A ce jour, un consensus s’est dégagé des milieux scientifiques nationaux et internationaux sur les conséquences d’un transfert direct inter-bassins ; le bassin du Congo représentant un des poumons de l’humanité, la démarche est de le préserver et non le détruire. J’estime donc que les scientifiques congolais devraient sortir du binaire «Transférer vs Ne Pas Transférer » – mais plutôt se focaliser sur «La Stratégie de gestion durable du bassin du Congo». Cette stratégie devrait nous aider à éradiquer le paradoxe congolais de la gestion de l’eau : c’est qu’avec

1. un potentiel hydroélectrique de près de 100.000 MW, la région du bassin du Congo est la plus sombre de la planète, nous demeurons sans électricité et n’avons presque pas d’industries de transformation au regard des ressources naturelles renouvelables et non-renouvelles dont nous sommes dotées ;

2. près de 20000 km de voies navigables, la navigation sécurisée n’est pas garantie et on enregistre plus de 2000 cas de décès chaque année ;

3. un énorme potentiel en aquaculture et irrigation, nous continuons à importer la nourriture et ne sommes pas à mesure de contribuer à la réalisation des ODD en ce qui concerne la sécurité alimentaire ;

4. un volume annuel de plus de 1300 milliards de m3 d’eau douce déversée dans l’océan, l’accès aux services d’eau potable et d’assainissement est un désastre ;  et nous continuons à importer l’eau « Eau virtuelle » ;

5. son positionnement du deuxième bassin fluvial du monde après celui de l’Amazone, le bassin du Congo demeure le moins étudié du monde …

Telles sont les questions réelles de gestion des ressources en eau auxquelles nos populations attendent des réponses immédiates. Ce sont des questions pour lesquelles nous sollicitions l’attention des scientifiques, et du Gouvernement Congolais à soutenir les travaux de recherche. Nous les considérons prioritaires à la polémique actuelle « Transférons, Ne Transférons Pas ».

Cette position je l’ai défendue à la Présidence de la RDC en 2018, et à plusieurs occasions au Conseil Economique et Social, et aussi dans de nombreuses rencontres scientifiques internationales.

Dans l’optique de la stratégie susmentionnée, nous venons de mettre en place un Framework de classification des sous-bassins pour la prédiction hydrologique et la gestion des ressources en eau dans les bassins non-jaugés du Congo – un outil de gestion des ressources en eau (Sous Presse dans American Geophysique Union-AGU, voir la liste de nos publications ci-bas). Dans ce Framework, une approche multicritère (hydrologique, socio-économique et sociologique) est utilisée au partitionnement du bassin du Congo en 1740 sous-unités dont la plus petite est celle de la rivière Gombe (16,7 km2) et la plus large est celle du Lac Tanganyika (70.317 km2). Une approche de classification non supervisée est utilisée pour catégoriser les unités selon leurs caractéristiques physiographiques et climatiques homogènes.

Puisse que la question d’insuffisance de données continue à se poser, et ne pourrait être résolue dans les dix prochaines années, ce Framework va donc nous permettre de procéder à des analyses sur des régions selon leurs potentialités et aussi leur sensibilité aux perturbations naturelles et anthropiques (gage des pratiques rationnelles de conservation et gestion des ressources en eau). Mais aussi, elle nous orientera sur les efforts à fournir pour collecter de nouvelles informations nécessaires à la prise de décision dans la gestion du bassin du Congo.

Les scientifiques et les professionnels des ressources en eau devraient se préparer à entamer une nouvelle phase de travaux de terrain, modélisation et télédétection pour contribuer à alimenter ce Framework en informations voulues. D’où mon invitation à ne pas croiser les bras. Au niveau du Centre de Recherche en Ressources en Eau du bassin du Congo – CRREBaC, nous avons des doctorants qui avancent bien dans le développement de nouveaux outils adaptés aux éléments du contexte du bassin du Congo.

La question de gestion du bassin du Congo doit continuer à nous préoccuper au plus haut point. Merci à Tous de nous focaliser sur ce qui fait avancer notre nation.

Le Professeur Raphael Tshimanga Muamba est Docteur en hydrologie et expert en ressources en eau du Bassin du Congo

1 COMMENTAIRE

  1. ‘Le défi stratégique pour l’avenir est, par conséquent, celui de garantir l’eau en quantité et qualité suffisante en vue de satisfaire les demandes concurrentielles croissantes pour les besoins agricoles, commerciaux, domestiques, environnementaux, et industriels.’

    Si en depit des benedictions de cette partie de l’Afrique, riche en ressources naturelles, des millions et des millions vegetent dans une pauvrete san appel, il va sans dire que le defi strategique, est l’etre. C’est a dire, le comportement, un comportement qui se manifeste dans la gestion de ces ressources.
    La strategie est une structure d’intelligibilite pensee pour incliner quelque chose en realite pratique. Dans cette perspective, la strategie qui importe, c’est la moralite, l’ethique, afin que ces benedictions deviennent des realites pratiques dans la vie des populations.

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