Des roses le 14 février ? Le bilan carbone aberrant de leur production industrielle

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Par Bruno Parmentier

 Les Français s’apprêtent à s’offrir 1,5 million de plantes et bouquets de fleurs ce week-end à l’occasion de la Saint-Valentin, un jour extrêmement important pour les fleuristes, un des seuls jours de l’année où sont achetées des fleurs en masse. Cela pourrait être l’occasion de réfléchir aussi à la planète que nous voulons construire.

Pour une fois, à l’occasion de cet acte pourtant signifiant, réfléchissons un peu au monde que nous voulons construire et prenons conscience : quand on achète un produit, on achète aussi le monde qui va avec ! 

Quand on ne sait pas choisir, on est souvent tenté par les superbes roses que nous proposent à foison les fleuristes ! Surtout, avec la symbolique des couleurs, quoi de mieux que d’offrir un énorme bouquet de roses rouges qui saura mieux que nous traduire nos sentiments amoureux. Combien de roses vont ainsi partir ce week-end ? Environ 50 millions ! Elles seront présentes dans la moitié des bouquets.

Mais au fait, vous en avez vu des roses épanouies au mois de février en France ? Offrir des roses le 14 février c’est un peu comme offrir des cerises ou des fraises, elles viennent forcément de très loin, et en plus, comme ce sont des produits périssables elles sont venues carrément en avion ! Au sens strict, elles embaument… le kérosène nos belles roses élevées près des aéroports au Kenya, en Éthiopie, en Afrique du Sud, en Équateur ou même en Chine, dans des conditions sociales que l’on peut imaginer très mauvaises !

Serres horticoles à côté de l’aéroport de Kunming (Chine) ; l’ingénieure gagne 100 $ par mois ! © Bruno Parmentier 

Et bien entendu sans lésiner aucunement sur les pesticides, dont beaucoup sont interdits en Europe, car qui peut croire que ces roses aseptisées et gigantesques, à tige unique, qui supportent un transport de milliers de kilomètres, n’ont pas été violentées, trafiquées, boostées, artificialisées un maximum ? Certaines autres sortent de serres hollandaises chauffées et éclairées 20 heures sur 24, à base de charbon ou de gaz bien polluant, ou, au mieux, d’énergie nucléaire ! Sans compter les transports successifs, le plus souvent par camion, depuis la Hollande où de toute façon elles ont toutes transité. Car bien sûr, les 15 % de fleurs françaises vendues en France sont presque toutes, elles aussi, passées par Amsterdam.

C’est ça la planète que nous voulons ?

Une planète où pour offrir un simple bouquet de 15 roses, on émet autant de gaz à effet de serre qu’un trajet de 200 kilomètres en voiture ?

Ne soyons pas rabat-joie, rien n’empêche d’offrir des fleurs à sa belle pour montrer que, malgré tout, surtout en cette année particulièrement difficile à cause de la pandémie de Covid-19, on est encore capable d’amour et d’acte gratuit. Mais, même s’il n’y a pratiquement plus de fleurs coupées françaises (la profession est passée de 30.000 à seulement 3.000 emplois), il nous reste un magnifique secteur d’horticulture ornementale, qui pèse encore 160.000 emplois, lesquels ont été fortement malmenés depuis deux ans en raison des confinements. Nous avons donc une excellente occasion de montrer qu’on veut moins polluer la planète et plus de solidarité sociale dans notre pays, ce qui rajouterait beaucoup de sens à notre cadeau amoureux ! 

Rose, rouge, blanc, le cyclamen se décline en toute beauté. © Big-heart, Pixabay, DP 

Les idées plus écologiquement correctes ne manquent pas : camélias, tulipes, amaryllis, iris, crocus, jasmins, mimosas, anémones, renoncules, giroflées, freesias, cyclamens, primevères, jonquilles, etc.

Et pourquoi pas, pour que notre plaisir soit complet, utiliser en plus le circuit court et viser des labels comme Plante bleue, qui garantit que les végétaux ont été produits de manière éco-responsable par des horticulteurs ou des pépinières certifiés, Fleur de France qui garantit l’origine française des végétaux, Fairtrade Max Havelaar ou Fair Flowers Fair Plants, pour les fleurs équitables produites dans le respect des normes environnementales et sociales.

Et pour aller plus loin, on peut regarder l’excellent reportage diffusé le lundi 7 février 2022 sur France 5 en replay : « Saint-Valentin : que cachent nos bouquets ? » Il montre le monde qui va avec les fleurs de nos fleuristes (vendues sans indication d’origine), et nous fait comprendre que ce sont dorénavant des produits hyper-industriels et mondialisés. On y découvre en particulier le marché couvert d’Aalsmeer près d’Amsterdam, qui occupe à lui tout seul une superficie équivalente à celle du Vatican pour traiter 12 milliards de fleurs par an, mais aussi les serres toutes proches éclairées 20 heures sur 24 et dont la consommation énergétique est équivalente d’une ville de 30.000 habitants.

Et la production industrielle de roses en Éthiopie, dans des serres qui produisent 3 millions de fleurs par jour, qui partent illico en avion à Amsterdam. Des fleurs traitées avec une quarantaine de produits chimiques, dont plusieurs sont formellement interdits en Europe (ne pas trop les toucher ni les sentir, ni les jeter dans son compost !).       

Bruno Parmentier, Ingénieur, économiste, auteur conférencier et consultant, spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires

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