COP27 : L’Afrique du Sud, terrain d’expérimentation d’une « transition énergétique juste »

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Par Mathilde Boussion

Très dépendant du charbon, le pays doit détailler, lors de la conférence sur les changements climatiques en Egypte du 6 au 18 novembre 2022, comment il veut utiliser les 8,5 milliards de dollars promis par les pays riches pour l’aider à décarboner son énergie.

C’était l’une des annonces phares de la COP26. En novembre 2021, à Glasgow (Ecosse), la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Union européenne mettaient 8,5 milliards de dollars (près de 8,5 milliards d’euros) sur la table afin de financer la transition énergétique sud-africaine. Longtemps, peu de choses ont filtré des négociations. Jusqu’à l’adoption en catimini, le 20 octobre, d’un plan d’investissement par le gouvernement sud-africain. Les détails doivent être dévoilés à l’occasion de la COP27, qui s’est ouverte le 6 novembre, à Charm El-Cheikh, en Egypte. Mais déjà, les grandes lignes se dessinent.

Ce « partenariat pour une transition énergétique juste » (JETP), premier du genre entre un pays en développement et une coalition de pays riches, est appelé à servir de modèle en cas de succès. Des accords similaires, prenant en compte la responsabilité particulière des pays développés dans le réchauffement climatique, ont été lancés par le G7 avec le Sénégal, le Vietnam, l’Indonésie et l’Inde. L’Afrique du Sud, 13e plus gros émetteur de CO2 au monde, apparaît comme le terrain d’expérimentation idéal. Parce qu’elle est dépendante du charbon, qui représente 80 % de sa production d’électricité et emploie 100 000 personnes. Mais aussi parce qu’elle a besoin d’aide pour se sortir d’une crise énergétique qui ne cesse de s’aggraver.

Alors que les centrales à charbon vieillissantes enchaînent les pannes, les délestages se multiplient afin d’éviter l’effondrement du réseau de la première puissance industrielle africaine. Ni la compagnie publique d’électricité, Eskom, endettée à hauteur de 400 millions de rands (22 millions d’euros), ni l’Etat sud-africain n’ont les moyens de financer en urgence l’indispensable augmentation des capacités de production. A certains égards, le plan de transition énergétique a des airs de plan de sauvetage.

Sans surprise, celui-ci porte en priorité sur la transition électrique de l’Afrique du Sud alors que le pays a promis d’en finir avec le charbon d’ici 2050. Dix centrales à charbon devraient fermer dans les prochaines années, a annoncé Barbara Creecy, la ministre sud-africaine de l’environnement. Le JETP devrait notamment permettre de financer la construction d’infrastructures (capacités de transmissions, transformateurs, batteries…) ouvrant la voie au développement des énergies renouvelables. Les deux autres volets du plan d’investissement sud-africain concernent le développement de l’hydrogène vert, dont l’Afrique du Sud souhaite devenir un leader, et celui des véhicules électriques.

Un fonds d’amorçage

D’ores et déjà, il est clair que le total de 8,5 milliards de dollars ne couvre qu’une fraction des fonds nécessaires à la transition sud-africaine. Selon une estimation reprise par la Commission présidentielle sur le climat sud-africaine, il faudrait jusqu’à 250 milliards de dollars sur trente ans au pays pour opérer sa transformation. Le 22 octobre, Daniel Mminele, président de la Presidential Climate Finance Task Team sud-africaine, qui a négocié le partenariat, a annoncé que le plan d’investissement nécessiterait « au moins » 50 milliards de dollars sur cinq ans.

Le JETP ne devrait donc fonctionner que comme un fonds d’amorçage destiné à attirer et faciliter la participation du secteur privé et d’autres institutions internationales. « La contribution de nos partenaires étrangers a le potentiel de permettre de lever des ressources bien supérieures auprès du public comme du privé. Nous sommes déjà concentrés pour mobiliser des fonds additionnels de la part d’autres pays intéressés, de banques de développement multilatérales, de sources philanthropiques et du secteur privé », a précisé Daniel Mminele.

Moins de 3 % des 8,5 milliards de dollars promis devraient être octroyés sous forme de subventions. Le reste en prêts

Fin juillet, le président Cyril Ramaphosa a confirmé son intention de se tourner vers le privé pour voler au secours du réseau électrique, en supprimant les licences nécessaires au développement de capacités de production énergétiques. Un tournant qui fait craindre à certains une « privatisation » de ces capacités, explique David Hallows, chercheur pour l’organisation de défense de l’environnement sud-africaine Groundwork. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une situation où certains pans de notre société – probablement le secteur privé – récoltent les bénéfices de la transition alors que les risques sont portés par les travailleurs des industries vulnérables et leurs communautés », a également averti la ministre de l’environnement sud-africaine au cours d’une conférence, le 24 octobre.

Les projets en matière d’hydrogène vert, une technologie encore à ses balbutiements dont le coût s’annonce élevé et la production énergivore, posent également de nombreuses questions. « Associer un réseau électrique vert à l’hydrogène vert et au développement des véhicules électriques semble une parfaite manière d’intégrer les transports, les énergies liquides et le secteur électrique au sein d’un seul modèle de partenariat », défend de son côté Saliem Fakier, directeur de la Fondation africaine pour le climat, un think tank panafricain basé en Afrique du Sud.

Mais la grande interrogation au sujet du JETP est d’ordre financier. Sous quelle forme se matérialiseront les 8,5 milliards de dollars promis ? D’après des révélations du site d’information britannique Climate Home News, qui a publié un résumé du plan de financement, moins de 3 % de l’enveloppe devraient être octroyés sous forme de subventions. Le reste se partagerait entre des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché, des prêts commerciaux et des garanties permettant de diminuer le niveau de risque des projets afin d’attirer les investisseurs privés. S’agaçant de ces fuites, Daniel Mminele a assuré que la version finale différait de cette version de travail.

Remboursement de la dette

Néanmoins, la part prépondérante des prêts est confirmée par différents interlocuteurs familiers du projet. Si certains soulignent qu’il est mécaniquement impossible d’offrir plus de subventions à un pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure comme l’Afrique du Sud, au regard des règles de l’OCDE, d’autres s’interrogent : « Contracter des prêts, cela veut dire s’endetter. A quelles conditions exactement ?  », demande David Hallows, de l’organisation Groundwork. Barbara Creecy a également insisté pour que les fonds mis à disposition dans le cadre de la transition énergétique « n’exacerbent pas la dette » des pays concernés.

Le faible niveau de subventions pose question sur l’aspect « juste » de la transition pour l’accompagnement des communautés locales. Une dimension non monétisable, au cœur des préoccupations de l’Afrique du Sud, où le taux de chômage culmine à près de 45 % en incluant ceux qui ne cherchent plus de travail. « La reconversion, le perfectionnement ou l’acquisition de compétences pour les travailleurs et les communautés vulnérables ne sont pas vraiment des processus qui permettent de générer un revenu pour rembourser une dette », a mis en garde Barbara Creecy.

Ardent défenseur du secteur minier, Gwede Mantashe, le ministre des ressources minérales et de l’énergie, estime de son côté que le secteur pourrait encore « se réinventer » alors que les exportations de charbon sud-africain à destination de l’Europe ont bondi de 720 % au premier semestre 2022, comparé à l’année précédente, sur fond de guerre en Ukraine.

Mathilde Boussion, Journaliste

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