COP27 : en RDC, la forêt, son carbone et ses aventuriers

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Treize ans après son lancement, le projet de l’entreprise Jadora, qui promettait de lutter contre la déforestation, notamment grâce à la vente de crédits-carbone, est à l’arrêt.

Les engins forestiers, envahis par la végétation, n’ont pas servi depuis longtemps et les conteneurs rouillés ont été laissés à l’abandon. Dans la cour, le nom de la société « Jadora » a été peint en vert sur un minuscule écriteau branlant, au-dessus d’une feuille d’arbre dessinée à la main.

« C’était le siège de notre société, mais, aujourd’hui, ce n’est plus qu’un bureau de liaison », explique Jacques Likakambula Okongo, le directeur du site de Yafunga, un village situé dans la province de la Tshopo, en République démocratique du Congo (RDC). Les employés congolais de cette entreprise américaine n’ont pas l’habitude de recevoir de la visite. La commune la plus proche se trouve à deux heures de moto. « Ici, nous luttons contre la destruction de la forêt du bassin du Congo », annonce l’un d’entre eux.

C’était en effet l’objectif affiché par Jadora en 2009. Aujourd’hui, le rêve semble évanoui et la population locale s’interroge sur les intentions de la société, qui avait promis de généreuses retombées si elle cessait de défricher pour cultiver. La concession englobe les terres d’une trentaine de villages.

Programmes de reboisement

Jadora est une des premières sociétés étrangères à avoir investi dans le marché du carbone forestier en RDC, à la fin des années 2000, au moment où le mécanisme de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière (REDD), élaboré dans le cadre des négociations climatiques, se met en place et où le pays imagine pouvoir en tirer d’importants revenus. La forêt du bassin du Congo couvre plus de 160 millions d’hectares, dont plus de 60 % se trouvent en RDC.

L’entreprise américaine, qui se donne pour mission « d’atténuer le changement climatique, de protéger la biodiversité et d’améliorer les conditions de vie des communautés », passe alors contrat avec la société forestière Safbois pour transformer 60 % de sa concession, soit 187 000 hectares, en unité de conservation. Elle promet, grâce à l’introduction de pratiques agricoles et forestières durables, et des programmes de reboisement, d’éviter le rejet de plus de 20 millions de tonnes de carbone sur trente ans. Un effort qui sera récompensé par la vente d’autant de crédits sur le marché volontaire auprès des entreprises, des institutions ou des particuliers désireux de compenser leurs émissions de CO2.

Près de 780 000 crédits-carbone ont été vendus sur le marché volontaire jusqu’en 2020 et plus rien depuis

Daniel Blattner, le directeur de Safbois et président de Congo Emissions Management, la coentreprise créée avec Jadora, est bien connu des milieux d’affaires congolais. L’Américain est également à la tête de la Compagnie africaine d’aviation (CAA), l’une des principales entreprises de transport aérien du pays. Les conditions dans lesquelles il a obtenu en 2003 et en 2004 ses concessions forestières dans la Tshopo, malgré un moratoire sur l’attribution de nouveaux titres, ont été dénoncées par les ONG écologistes dont Greenpeace. Mais qu’importe, le projet se met en place et les premiers crédits sont vendus en 2015 à l’université américaine Williams College, dans le Massachusetts, quelques mois après avoir été certifié « conforme » aux normes internationales par l’ONG américaine Rainforest Alliance.

La compagnie américaine Delta Air Lines et l’entreprise italienne d’hydrocarbures Eni font par la suite partie des plus gros clients. Au total, près de 780 000 crédits-carbone ont été vendus sur le marché volontaire jusqu’en 2020 et plus rien depuis, selon la base de suivi des projets REDD gérée par le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR). « Le volume de carbone séquestré a baissé dans notre parcelle. Nous n’avons pas réussi l’étape de la certification lors du second audit en 2019 », admet Jacques Ipoma, le chef du projet.

Depuis, « nous essayons de mieux expliquer nos objectifs aux communautés et d’accélérer la reforestation ». Jusqu’à présent, seulement une quarantaine d’hectares ont été reboisés. Un effort « largement insuffisant pour compenser la pression sur la forêt exercée par les communautés locales, qui pratiquent l’agriculture itinérante sur brûlis », regrette Paolo Cerutti à la tête de l’unité congolaise du CIFOR.

« Viennent-ils exploiter ou protéger ? »

Les maigres bénéfices ont tous été réinjectés dans le projet, assure Jacques Ipoma. « 500 dollars en cash ont été versés à chaque village en 2020, puis en 2021, et seulement 100 dollars cette année », détaille Moïse Balumbo, président d’un groupe d’associations locales. Des semences de riz, d’arachide ou de niébé ont également été distribuées. Mais pour les villageois, le compte n’y est pas. « Une distraction pour nous endormir », lance un agriculteur. « On nous avait promis des retombées importantes, mais, jusqu’à présent, nous n’avons presque rien reçu », déplore un enseignant de Yafunga, devant un chantier d’école abandonné par Jadora, « faute de financement ». Les locaux reprochent aussi à Jadora de ne pas jouer franc-jeu. « On ne comprend rien. Viennent-ils exploiter ou protéger ? », se demande un chef de village en colère.

A Yafunga, les activités sont quasiment à l’arrêt, même si le programme court officiellement jusqu’en 2039. Jacques Ipoma espère les relancer aussitôt que le projet sera « homologué ». Depuis 2018, plus aucune société ne peut investir dans le marché du carbone forestier congolais sans autorisation du gouvernement. La RDC, qui s’est proclamée « pays solution » à la crise climatique grâce au puits de carbone que représentent ses forêts, tente de reprendre la main sur ce qu’elle considère toujours comme une potentielle manne financière.

En 2021, 500 millions de dollars lui ont été promis par l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI) pour l’encourager à fixer un cadre solide et fiable à la lutte contre la déforestation. Dans ce contexte, l’initiative privée Jadora aura-t-elle encore sa place ?

(lemonde.fr)

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