Du 9 au 11 janvier 2025, l’Union africaine (UA) organise un sommet extraordinaire en Ouganda sur le développement agricole du continent. Ce sommet est l’occasion de faire le point sur les engagements des pays africains en matière de soutien à l’agriculture et d’évaluer les progrès réalisés depuis l’adoption du programme de Maputo en 2003. Ce programme a pour objectif d’allouer au moins 10 % des budgets publics nationaux à l’agriculture et de viser une croissance annuelle de 6 % pour le secteur. Cependant, ces engagements se heurtent à des réalités économiques complexes, dont le sous-investissement et une dépendance croissante à l’aide internationale.
Les objectifs de Maputo : un cap difficile à atteindre
Le Programme de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA), adopté en 2003 lors du Sommet de Maputo, a fixé des objectifs ambitieux pour le secteur agricole du continent. L’objectif phare reste d’allouer 10 % des budgets publics à l’agriculture, avec un objectif de croissance annuelle de 6 %. Cependant, ces promesses se traduisent par des résultats contrastés. Si certains pays, tels que la Tanzanie, le Kenya et l’Éthiopie, parviennent à dépasser ces objectifs, de nombreux autres, comme le Ghana et le Rwanda, consacrent moins de 5 % de leurs budgets à l’agriculture, bien en deçà de l’engagement.
Une analyse des dépenses publiques : les zones d’ombre
Les chiffres relatifs aux dépenses publiques agricoles dissimulent souvent une réalité complexe. Environ 56 % des dépenses dites agricoles sont en fait allouées à des secteurs connexes, tels que les infrastructures rurales, la santé ou l’éducation, mais qui ne bénéficient pas directement à la productivité agricole. Ainsi, bien que ces investissements soient cruciaux pour le développement rural global, ils ne répondent pas spécifiquement aux besoins de l’agriculture.
En excluant ces dépenses rurales, les véritables budgets alloués à l’agriculture apparaissent encore plus faibles. Seuls des pays comme l’Éthiopie parviennent à respecter l’objectif des 10 %, et cela reste l’exception plutôt que la règle.
Subventions agricoles : un levier mal exploité
Un autre aspect des politiques agricoles africaines est l’utilisation des subventions aux intrants agricoles. Actuellement, seulement 8 % des dépenses publiques agricoles soutiennent directement la production. Bien que ces subventions soient une forme d’aide indispensable pour les agriculteurs, elles souffrent de nombreuses lacunes, telles que le ciblage inefficace des bénéficiaires, des problèmes de gouvernance, et un manque d’accompagnement technique. Ces faiblesses limitent leur impact réel sur l’amélioration de la productivité agricole.
La dépendance à l’aide internationale : un frein aux progrès
L’agriculture africaine reste largement dépendante de l’aide internationale, qui représente entre 10 % et 40 % des budgets agricoles des pays du continent. Cette aide est aujourd’hui menacée par les coupes budgétaires décidées par des pays donateurs, notamment la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Union européenne. Ces réductions risquent d’aggraver les difficultés financières des pays africains pour soutenir leur agriculture.
Réévaluer l’objectif des 10 % : une nécessité face aux défis actuels
Les défis auxquels les pays africains sont confrontés pour atteindre les objectifs de Maputo sont multiples. Outre les impacts du changement climatique, les pays africains doivent faire face à une concurrence accrue sur les marchés mondiaux et à des infrastructures agricoles insuffisantes. De plus, la politique commerciale des pays africains privilégie encore les importations agricoles à bas prix au détriment de la production locale. Cela pénalise les agriculteurs africains, qui doivent affronter une concurrence internationale largement subventionnée.
Une transformation structurelle nécessaire pour l’agriculture
Alors que l’Union africaine s’apprête à définir une nouvelle feuille de route pour le PDDAA à Kampala, il devient impératif de passer au-delà des simples objectifs chiffrés. L’objectif de consacrer 10 % des budgets publics à l’agriculture est important, mais il est nécessaire d’agir pour transformer ces engagements en actions concrètes. Il faut également réévaluer la qualité des dépenses publiques dans le secteur agricole et assurer la cohérence entre les politiques agricoles.
Une opportunité de repenser l’agriculture africaine
Le sommet de l’Union africaine représente une occasion de repenser les approches en matière de développement agricole et d’intensifier les engagements pour la décennie à venir. La transformation structurelle de l’agriculture, la diversification des sources de financement, et l’amélioration de la gouvernance des politiques agricoles doivent devenir des priorités pour les pays africains afin de relever les défis agricoles du futur.
Moctar FICOU / VivAfrik