« Au Bénin, la filière ananas est dominée par les importateurs, ce qui n’est pas normal » (Edouard Choubiyi, AEAB)

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En Afrique de l’Ouest, le Bénin est l’un des principaux fournisseurs d’ananas. Si le pays jouit globalement d’une bonne image sur les marchés à l’export, les acteurs doivent néanmoins faire face à de nombreux défis. Dans un entretien avec nos confrères de l’Agence Ecofin, Edouard Choubiyi, nouveau président de l’Association des exportateurs d’ananas du Bénin (AEAB), revient sur la situation de la filière et évoque ses ambitions ainsi que les perspectives pour la filière.

Le 11 juillet 2024, un distributeur français a fait un prélèvement pour un autocontrôle de qualité sur une expédition d’ananas en provenance du Bénin. Ce test a révélé une semaine plus tard une teneur de résidu d’éthéphon (produit de synthèse utilisé pour obtenir une coloration jaune-orangée de la peau du fruit) de 5,9 mg/kg contre la norme de 2mg/kg. Que retenir de cet épisode ?

D’abord je dois dire que ce qui s’est passé reste assez difficile à comprendre. La réalité est qu’il y a un itinéraire technique pour la production et la commercialisation que chaque pays doit suivre. Si le produit part du Bénin et que cela débarque en France, la responsabilité est partagée parce que ce sont les autorités de ce pays qui ont permis au produit de pénétrer le marché.  

Généralement, c’est soit l’État qui fait le contrôle, soit c’est celui qui reçoit le produit qui s’en charge. Dans le cas où celui qui importe fait le contrôle et que les doses constatées dépassent les limites maximales résiduelles (LMR), il peut appeler son fournisseur ou lui demander des explications. Si le fournisseur lui donne des explications, il doit refaire une autre analyse pour la prochaine expédition. Dans le cas où les doses dépassent encore les LMR, il y a une obligation de le signaler à l’administration de son pays qui envoie une lettre officielle au pays d’origine. Dans le cas d’espèce, je dois souligner que la notification du dépassement des doses n’est pas arrivée par la voie officielle.

C’est dans un supermarché que les produits ont été soi-disant détectés et l’information a circulé sur les réseaux sociaux. Je pense que le Bénin a été pris entre les feux d’une guerre commerciale entre deux acteurs qui se disputent la place de leader sur le marché de Rungis. L’association aurait dû demander une enquête pour voir les tenants et aboutissants de cette histoire.

Malheureusement, la faute est retombée sur les opérateurs béninois. Comme si tout était de leur faute ! On ne peut pas exposer un pays d’une origine comme ça sur les réseaux sociaux.  L’ananas est un produit phare pour le Bénin. Cet épisode ne nous a pas fait du bien. Moi-même en tant que président de l’association, j’ai une entreprise. J’ai envoyé des messages à un de mes clients pour une livraison, mais il m’a dit par exemple de régler les problèmes liés à l’éthéphon alors qu’il s’agissait juste d’une situation temporaire qui n’impliquait pas toute la filière. Je dois rappeler ici que le Bénin est le pays le mieux équipé de la sous-région en matière de contrôle. La rigueur que le gouvernement impose ici est un cran au-dessus des exigences appliquées au Togo, en Côte d’Ivoire et au Ghana. Malgré tout cela, force est de constater que l’origine a été salie. 

Au-delà de cet incident, quelles actions sont prévues pour être menées afin d’aider les acteurs de la filière sur la problématique des LMR ? 

Dans les prochaines années, je pense qu’il faut qu’on vulgarise l’information dans le rang de tous les acteurs de la filière. Nous avons déjà l’Agence béninoise de Sécurité sanitaire des Aliments (ABSSA) qui nous permet de nous mettre à l’abri des LMR. Maintenant, il nous faut mettre d’autres garde-fous. Ceux qui sont chargés de pratiquer l’éthrélage (processus de pulvérisation de l’éthéphon) doivent savoir que leur responsabilité est engagée. Actuellement, quand vous faites l’éthrélage, il y a un prélèvement des fruits qui est fait après une semaine pour des tests. Ce processus est systématique et touche toutes les expéditions à l’étranger. Si le résultat n’est pas conforme, on n’envoie pas la cargaison. C’est très strict.

Mais plus globalement, je pense qu’on peut s’épargner les problématiques liées aux LMR en mettant en place une meilleure communication autour de notre ananas vert. Les consommateurs français ne sont pas encore informés des avantages pour ce produit. Ils consomment avec les yeux. Ils aiment l’ananas coloré parce qu’ils se disent que l’ananas vert n’est pas encore mûr alors que c’est le même type de produit. Et plus encore, l’ananas vert est encore plus sain parce qu’aucune substance n’a été appliquée dessus. 

Quels sont les chantiers sur lesquels vous comptez travailler pour 2025 ?

L’organisation que nous sommes en train de mettre en place devrait nous permettre de faire plus de volume.  Aujourd’hui, il faut savoir qu’il y a deux facteurs qui plombent notre performance. Il y a le manque d’organisation sur le terrain et la trop grande dispersion des exportateurs qui fragilise la filière. Actuellement, nous sommes dominés par les importateurs, ce qui n’est pas normal. Chacun fait cavalier seul et veut vendre les fruits parfois à n’importe quel prix pour encaisser ses gains même si c’est au détriment de son compatriote qui fait un travail de longue haleine avec son entreprise et qui a des charges.

Le système que nous voulons mettre en place vise à grouper tous les acteurs en une société qui pourra envoyer des volumes conséquents par semaine et régler non seulement le problème du prix, mais aussi celui du contrôle systématique. Aujourd’hui, les agents de l’ABSSA peuvent aller sur 8 chantiers pour aller faire le prélèvement pour 8 entreprises différentes. Mais si nous avons une seule entreprise, cela reviendrait à un seul contrôle, ce qui donne beaucoup plus d’assurance aux importateurs.

L’ananas pain de sucre du Bénin a reçu l’indication géographique il y a bientôt 5 ans. Quelles sont les stratégies déployées pour mieux valoriser cette niche ?

Actuellement, l’ananas pain de sucre représente au moins 80 % de toutes nos exportations. Mais à vrai dire, il n’y a pas encore une stratégie vraiment organisée qui permette à chaque acteur de tirer son épingle du jeu. Dans la filière, c’est l’importateur qui envoie les cartons et qui paie le fret. Les acteurs sur le terrain travaillent comme s’ils étaient des ouvriers. La plupart du volume est expédié dans des cartons d’entreprises étrangères qui font la promotion de leurs sociétés à travers nos produits comme si elles avaient des plantations sur place au Bénin. On ne fait pas la promotion à 100 % de notre origine. C’est dommage. Le même client peut acheter de l’ananas chez 2 ou 3 personnes sans que celles-ci ne se concertent alors que dans le fond nous ne sommes pas des concurrents.

Cette situation n’est pas la faute du gouvernement. Les autorités ne peuvent pas tout vérifier. Les acteurs sur le terrain doivent apporter l’information au gouvernement. C’est pour cela que l’association est en train de mettre en place des réformes. Avec la nouvelle formule, il y aura donc un système en place pour le groupage. Nous disposerons de cartons estampillés du logo de notre association, nous paierons notre fret et nous aurons notre représentant sur place. Lorsque le produit atterrit là-bas, celui-ci se chargera de la distribution et collectera les informations sur le marché qu’il nous enverra. En résumé, l’importateur n’aura plus à s’impliquer dans la filière. Cette politique va bousculer un peu les pratiques actuelles, mais c’est plus avantageux pour mieux valoriser notre origine.  

L’ananas avion est un créneau de niche qui représente moins de 2 % des volumes importés par le bloc européen. Comme le Bénin tire profit de ce segment ?   

Actuellement, nous n’exploitons pas encore totalement ce potentiel. Il y a parfois des commandes qu’on n’arrive pas à satisfaire faute de vols cargos parce que les compagnies n’ont pas une visibilité chaque semaine de ce qu’on doit faire. Ce sont autant de défis à relever. Il nous faut une politique d’organisation à la base qui permet de préparer chaque semaine les volumes à sortir du pays et d’en informer les compagnies aériennes pour qu’elles s’apprêtent en conséquence. C’est un travail qui doit se faire entre toutes les parties prenantes de la chaîne de commercialisation extérieure. Nous pouvons véritablement atteindre les 12 000 tonnes que le gouvernement vise à l’export si les conditions optimales sont réunies.   

La France absorbe 80 % des expéditions du Bénin. Quels sont les efforts entrepris en matière de diversification des débouchés ?    

Il y a eu des efforts vers la Chine qui est un marché très attractif. Vu que c’est un nouveau marché, il y a des exigences du côté des autorités du pays, notamment sur l’aspect de la conformité aux normes phytosanitaires. Mais on y travaille. Le dossier est très avancé. Incessamment, nous pourrons lancer nos expéditions d’ananas avion vers cette destination qui a un important potentiel et peut générer d’énormes opportunités économiques pour la filière.

Avec Espoir Olodo (Agence Ecofin)

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