Nous sommes à Lassa Tcholla, à environ 5 kilomètres de Kara, dans le nord du Togo. Dans cette vallée, nichée entre les collines verdoyantes, l’air est saturé de senteurs de terre humide et de feuilles fraîches. Le jeudi 16 janvier 2025, sous un soleil radieux, nos confrères de mongabay.com ont rencontré Mamilani Gnakou, un jeune agriculteur et entrepreneur passionné par l’agroécologie.
En les accueillant dans son champ, Gnakou les guide à travers des rangées impeccablement entretenues de légumes et de céréales, les expliquant qu’« ici, tout a commencé avec un hectare de terre dégradée ». En effet, ce sol, autrefois compact et infertile, respire aujourd’hui la vie grâce à des pratiques agroécologiques qu’il expérimente avec passion.
Un terrain transformé grâce à l’agroécologie
Le contraste est frappant avec les parcelles voisines, laissées à l’abandon. Alors que d’autres terres souffrent d’épuisement, la parcelle de Mamilani Gnakou est un modèle de régénération. Il explique que « ce champ est ma salle de classe », tout en nous montrant des vers de terre qui grouillent sous la couverture végétale. Son approche repose sur la rotation des cultures, l’utilisation de compost naturel et les associations de plantes, des techniques qui ont transformé ce terrain en un véritable laboratoire vivant. Résultat : des légumes éclatants, un sol revitalisé et des rendements doublés.
L’ascension d’un ancien ingénieur civil devenu acteur du changement
Ancien ingénieur en génie civil, Gnakou a décidé en 2015 de revenir dans son village natal à Kara après ses études à l’Université de Lomé. À son arrivée, il se heurte à une réalité déconcertante : les terres sont épuisées, les rendements agricoles sont catastrophiques. « C’était comme si la terre pleurait en silence », raconte-t-il avec émotion. Ce choc marque le début de son engagement vers l’agroécologie, une transition vers des pratiques agricoles durables et respectueuses de l’environnement.
En 2018, avec le soutien de son oncle qui lui prête un hectare de terre, il initie un projet ambitieux : transformer une terre dégradée en un modèle d’agriculture régénératrice. L’utilisation de techniques simples mais efficaces comme la rotation des cultures et le compostage naturel a permis de doubler les rendements.
Lancement du marché Bio Lamessin : de la terre au consommateur
Conscient que ses produits agroécologiques ne trouvent pas leur place sur les marchés conventionnels, Gnakou lance en 2018 le marché « Bio Lamessin », un marché spécialisé dans les produits agroécologiques. En choisissant Lomé, la capitale, comme point de vente stratégique, il cherche à répondre à une demande croissante pour des produits sains, locaux et durables. Il raconte : « Lomé, c’est là où la demande est la plus forte. C’est aussi là où les consommateurs sont prêts à payer pour des produits de qualité. »
Depuis son lancement, Bio Lamessin a connu une évolution significative. Bien que des défis subsistent, notamment en termes de diversité et de régularité des produits, Gnakou a su élargir son réseau. Aujourd’hui, une vingtaine de producteurs dans les cinq régions du Togo travaillent ensemble pour offrir des légumes, fruits et céréales certifiés agroécologiques. Cette initiative a permis de diversifier l’offre et de garantir une disponibilité régulière des produits tout au long de l’année.
Affronter les défis climatiques grâce à l’agroforesterie
Les changements climatiques représentent un défi majeur pour l’agriculture au Togo. Les périodes de sécheresse prolongées et les pluies imprévisibles mettent souvent en péril les cultures. Mais Mamilani Gnakou et ses producteurs ont appris à diversifier leurs cultures et à utiliser l’agroforesterie pour mieux retenir l’eau et protéger les sols. « Il y a eu des moments où nous avons perdu une partie de nos récoltes, mais nous avons appris à diversifier nos cultures et à améliorer la rétention d’eau grâce à l’agroforesterie », explique-t-il.
Dans le cadre de son engagement pour la durabilité, chaque ferme du réseau Bio Lamessin adopte des pratiques respectueuses de l’environnement, incluant la plantation d’arbres et l’interdiction des produits chimiques. Pour Gnakou, « protéger l’environnement est indissociable de notre mission ».
Le succès du marché et son impact national
Le marché Bio Lamessin a non seulement gagné en popularité à Lomé, mais il est également devenu une référence pour les produits frais et biologiques. Les consommateurs, soucieux de leur santé, les familles recherchant des aliments sans produits chimiques et même les expatriés et les touristes, se rendent régulièrement sur le marché. Ce modèle de commercialisation a permis de renforcer l’accès à des produits locaux de qualité tout en favorisant une consommation responsable.
Les retours des consommateurs, satisfaits de la qualité et de la fraîcheur des produits, témoignent de l’impact de cette initiative. Le marché ne se contente pas de vendre des produits, il met en lumière l’importance de soutenir des pratiques agricoles durables et respectueuses de l’environnement.
Une approche alignée avec les politiques nationales
L’initiative de Mamilani Gnakou s’inscrit parfaitement dans les stratégies nationales du Togo. Le pays a adopté, en 2019, une stratégie pour l’agroécologie et l’agriculture biologique, et Gnakou se félicite de cette démarche. « Ce cadre nous a montré comment structurer nos efforts pour répondre aux défis climatiques tout en garantissant des récoltes durables. » Son projet témoigne de la façon dont les initiatives locales peuvent s’harmoniser avec les politiques nationales pour un avenir agricole durable.
Former pour pérenniser l’agroécologie
Au-delà de sa production et de la commercialisation, Gnakou s’est engagé à partager ses connaissances. Depuis 2023, il a organisé 20 formations pour initier d’autres agriculteurs aux pratiques agroécologiques. En formant des producteurs, il s’assure que l’agroécologie puisse perdurer au-delà de son propre projet. « La terre est notre héritage, nous devons en prendre soin », insiste-t-il lors de ses formations.
Avec l’agroécologie, Gnakou et ses partenaires démontrent qu’il est possible de répondre aux défis climatiques, de lutter contre la dégradation des sols, et de renforcer la sécurité alimentaire tout en respectant l’environnement. Bio Lamessin est un exemple concret de ce que peut offrir l’agriculture durable : une solution innovante aux enjeux climatiques et alimentaires.
Moctar FICOU / VivAfrik