L’Afrique du Sud, deuxième plus grande économie du continent africain, fait face à une stagnation économique qui menace son avenir. Depuis 2014, la croissance du Produit intérieur brut (PIB) reste en deçà de 2%, et en tenant compte de la pression démographique, la richesse par habitant stagne depuis 2008, affichant même une baisse depuis la crise du Covid 19. Ce ralentissement révèle une économie paralysée par des contraintes structurelles profondes, visibles dans des secteurs clés comme les télécommunications, les infrastructures logistiques, et surtout le système énergétique.
L’un des plus grands défis économiques actuels de l’Afrique du Sud est le système énergétique, qui souffre d’infrastructures vieillissantes et d’une transition énergétique trop lente. Les coupures d’électricité régulières, ou délestages, sont devenues une réalité quotidienne pour les Sud-Africains, avec des interruptions pouvant durer jusqu’à 16 heures par jour. En 2023, ces délestages ont représenté un choc économique de 2% pour la croissance, selon la Banque centrale. En 2024, bien que la situation s’améliore légèrement, le problème sous-jacent reste toujours présent. Mais quelles sont les causes de cette crise énergétique et quelles réponses le gouvernement apporte-t-il ?
Les coupures de courant : une réalité quotidienne aux coûts socio-économiques élevés
Les coupures de courant en Afrique du Sud sont loin d’être un phénomène récent. Leur origine remonte à 2008, mais elles se sont intensifiées depuis 2022. En 2023, la durée des délestages a doublé par rapport aux niveaux de 2008, atteignant une moyenne de 10 à 12 heures de coupures par jour. Ces coupures perturbent non seulement la vie quotidienne des ménages, mais impactent gravement l’économie, en particulier dans des secteurs comme l’industrie et l’exploitation minière, qui représente une part significative du PIB (24,6% en 2023). Selon Investec, des secteurs comme les mines risquent de subir de lourdes pertes d’emplois et des fermetures de sites si la situation se dégrade davantage.
En plus de nuire à la productivité, les délestages affectent la confiance des investisseurs, ce qui aggrave encore les perspectives économiques du pays. Le Fonds monétaire international (FMI) souligne que ces coupures exacerbent également les inégalités de revenus, un problème structurel majeur pour l’Afrique du Sud. Le manque d’accès stable à l’électricité a un impact direct sur les revenus des ménages, surtout dans les quartiers défavorisés, ou « townships ».
Les causes profondes de la crise énergétique : Eskom, infrastructures vieillissantes et dépendance au charbon
La crise énergétique sud-africaine repose sur trois facteurs interdépendants : la situation de monopole d’Eskom, la gestion déficiente de ses infrastructures vieillissantes et la forte dépendance du pays au charbon pour sa production d’électricité.
Eskom : un opérateur national en difficulté
Eskom, l’entreprise publique d’électricité, est en proie à des difficultés majeures, aussi bien sur le plan opérationnel que financier. Le pays souffre de la corruption qui a marqué l’ère Zuma (2009-2018), lors de laquelle Eskom a été gravement affecté par la »capture d’État ». Cette situation a entraîné une hausse vertigineuse de la dette d’Eskom, la portant à près de 30 milliards de dollars entre 2014 et 2019. Eskom est devenu une menace pour la stabilité économique du pays, avec des transferts gouvernementaux importants pour tenter de couvrir la dette. Cependant, ces transferts ont contribué à l’aggravation du déficit budgétaire.
Les infrastructures vieillissantes : une menace à long terme
Les infrastructures d’Eskom, vieillissantes, représentent un autre obstacle majeur. En moyenne, les centrales de production d’électricité sud-africaines ont plus de 40 ans, ce qui réduit leur efficacité et les expose à un risque accru de panne. En 2008, le gouvernement estimait qu’un investissement de 171 milliards de dollars serait nécessaire pour rénover ces infrastructures, un montant jugé insuffisant par l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Réformes et investissements : une tentative de redressement
Pour résoudre cette crise, le gouvernement sud-africain a entrepris plusieurs réformes, notamment la scission d’Eskom en trois entités distinctes (production, transmission et distribution) pour améliorer la gouvernance et l’efficacité de l’opérateur. De plus, un plan de sauvetage financier de 13 milliards de dollars sur trois ans a été annoncé en 2023 pour alléger la dette d’Eskom. Ces mesures ont permis d’augmenter la disponibilité énergétique à 61-71% en 2024, réduisant ainsi les coupures de courant. Cependant, des incertitudes persistent concernant la viabilité financière de l’entreprise, surtout en raison des retards de paiement par les municipalités.
Une dépendance excessive au charbon et un mix énergétique insuffisant
L’Afrique du Sud reste fortement dépendante du charbon pour produire de l’électricité, avec plus de 80% de la production énergétique nationale provenant de cette source. Malgré les objectifs fixés par le gouvernement dans l’Integrated resource plan (IRP) de 2011 pour diversifier son mix énergétique, peu de progrès ont été réalisés. Le pays s’est engagé à réduire ses émissions de CO2 de 42% d’ici à 2025, mais la transition vers les énergies renouvelables reste lente. Selon le FMI, l’objectif de 36% de renouvelables dans le mix énergétique d’ici à 2030 semble difficile à atteindre, avec des projections de part renouvelable nettement inférieures aux attentes gouvernementales.
À quoi s’attendre à l’avenir ?
Malgré les efforts entrepris pour améliorer la situation, l’Afrique du Sud continuera de faire face à des défis énergétiques importants à court et moyen terme. Les coupures de courant devraient persister jusqu’en 2030, selon les prévisions. À plus long terme, la période de 2031 à 2050 sera celle de la transition vers la neutralité carbone, mais aussi de l’intensification des risques pour la sécurité énergétique en raison du vieillissement des infrastructures. Le pays devra investir massivement pour garantir la sécurité énergétique à l’avenir, avec un besoin urgent de renouveler son infrastructure de production d’électricité. Les investissements privés restent insuffisants, et le gouvernement devra arbitrer entre différentes solutions de financement, notamment les partenariats public-privé, les investissements d’Eskom, ou un recours accru à l’endettement public.
Un défi énergétique d’ampleur pour l’Afrique du Sud
L’Afrique du Sud se trouve à un carrefour énergétique. Les coupures d’électricité, les infrastructures vieillissantes et la dépendance au charbon sont des obstacles majeurs à la croissance économique du pays. Les réformes engagées par le gouvernement sont un pas dans la bonne direction, mais des efforts considérables et des investissements massifs sont nécessaires pour éviter un avenir où l’énergie reste un frein à la prospérité du pays.
Moctar FICOU / VivAfrik