Le débat sur le climat s’invite au Forum économique mondial (FEM) de Davos en Suisse. En effet, Greta Thunberg, militante suédoise pour le climat, a reproché, jeudi 19 janvier 2023, aux grands patrons réunis à Davos d’« alimenter la destruction de la planète » en investissant dans les combustibles fossiles et en privilégiant les profits à court terme au détriment des personnes touchées par la crise climatique.
Avec trois autres figures de l’activisme climatique -l’Equatorienne d’Amazonie Helena Gualinga, l’Ougandaise Vanessa Nakate et l’Allemande Luisa Neubauer, lors d’une table ronde avec le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’Energie, Fatih Birol, à l’occasion du rassemblement annuel du Forum économique mondial, l’égérie de Friday For Future a exhorté les dirigeants du secteur pétrolier à « sortir progressivement des énergies fossiles », se référant à un rapport « qui dit qu’ils connaissaient les impacts sur les humains et sur l’environnement », a-t-elle indiqué. Une pétition qu’elles ont initiée cette semaine pour demander l’arrêt par les multinationales de l’exploitation des énergies fossiles a réuni près de 900 000 signatures, a fait savoir Greta Thunberg.
Pour sa part, Vanessa Nakate a déclaré que « les dirigeants jouent à des jeux » avec l’avenir des gens. Les habitants des régions du monde les plus touchées par le changement climatique « s’accrochent à leur vie et essaient simplement de tenir un jour de plus, une semaine de plus, une heure de plus, une minute de plus ».
Helena Gualinga, une militante indigène équatorienne, s’est inquiétée du fait que le monde « prend un chemin vraiment dangereux ».
Les militants ont apporté une lettre de « cessation et désistement » appelant les dirigeants des sociétés de combustibles fossiles à arrêter tous les nouveaux projets de pétrole et de gaz naturel, signée par près de 900 000 personnes.
Les scientifiques affirment qu’aucun nouveau projet de combustible fossile ne peut être construit si le monde veut limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius, conformément aux objectifs climatiques fixés à Paris en 2015.
La veille, à Davos, le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres avait déjà fortement critiqué l’industrie pétrolière, et accusé certains dans le secteur de « colporter le grand mensonge ». « Certains producteurs d’énergies fossiles étaient parfaitement conscients dans les années 1970 que leur produit phare allait faire brûler la planète », a-t-il asséné.
Une étude parue dans la revue « Science » la semaine dernière a confirmé que la compagnie américaine ExxonMobil avait entre les mains dans les années 1980 des prédictions très justes sur le réchauffement climatique, réalisées par ses propres scientifiques. « Cette question » a « fait plusieurs fois surface ces dernières années », avait réagi le groupe cité par l’AFP. « A chaque fois, notre réponse est la même : ceux qui évoquent ce qu’« Exxon savait » ont faux dans leurs conclusions ».
Vanessa Nakate a fait part des niveaux actuels de réchauffement, qui ont atteint jusqu’à 1,2 degré Celsius, signifient qu’il s’agit « déjà d’un enfer pour de nombreuses communautés du continent africain et du Sud » qui sont confrontées à des sécheresses, des chaleurs et des inondations extrêmes.
Les activistes critiquent de plus en plus le manque d’action des gouvernements et des grandes entreprises ces dernières années.
M. Birol, quant à lui, a déclaré qu’il était « légitimement optimiste » quant à la possibilité que le monde s’éloigne des combustibles fossiles pour se tourner vers les énergies propres. Il a noté que la loi américaine sur la réduction de l’inflation, qui prévoit près de 375 milliards de dollars d’incitations en faveur du climat, serait un facteur de transformation pour les énergies renouvelables dans le pays.
Mais il a ajouté que « le problème est que nous ne sommes pas assez rapides pour atteindre nos objectifs climatiques ».
La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, à qui l’on demandait ce qu’elle changerait pour accélérer la transition vers le « net zéro », a répondu qu’elle enfermerait les États-Unis, la Chine, l’Inde et l’Union européenne dans une pièce et fermerait la porte à clé.
Elle « les laisserait sortir après qu’ils aient signé dans le sang un engagement à travailler ensemble pour sauver la planète », a-t-elle déclaré sous les applaudissements du public lors d’une discussion sur la finance verte à Davos.
Les propos d’Antonio Guterres ont « un peu surpris » Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies, interrogé depuis Davos sur BFM Business. C’est un « faux débat », a-t-il estimé, expliquant que dans les années 90, « on ne savait rien du tout ». « Moi je n’ai pas des scientifiques du climat chez TotalEnergies », a-t-il lancé.
Il reste que si la crise climatique marque les esprits à Davos, elle n’occupe pas le devant de la scène, dans un contexte de crises qui se multiplient. De l’aveu même de Fatih Birol qui participait au débat avec les quatre jeunes activistes, « l’attention portée au changement climatique est en train de baisser, malheureusement ».
Sa présence à leur côté est un message au monde, a-t-il assuré, en prévenant que « si nous ne sommes pas en mesure de transformer le secteur de l’énergie, aujourd’hui responsable de 80 % des émissions de gaz à effet de serre, nous ne pourrons pas atteindre les objectifs climatiques ».
Le climat et le développement durable sont de plus en plus souvent des thèmes majeurs du conclave des élites à Davos, bien qu’il ait fait l’objet de critiques pour avoir été un lieu de discussion qui ne débouche que sur peu d’actions directes. Cette année, plusieurs sessions ont été consacrées à la transition des combustibles fossiles vers les énergies propres, aux côtés de panels sur le ralentissement de l’économie mondiale, l’insécurité alimentaire et l’innovation technologique.
Le coup d’envoi de l’événement a été donné par des dizaines de militants pour le climat – certains maquillés en clowns – qui ont bravé les chutes de neige dimanche pour brandir des banderoles et scander des slogans au bout de la promenade de Davos.
« Les changements dont nous avons besoin ne viendront probablement pas de l’intérieur (de la réunion de Davos), je pense plutôt qu’ils viendront de la base », a déclaré Greta Thunberg. « Sans pression publique massive de l’extérieur, du moins d’après mon expérience, ces personnes iront aussi loin qu’elles le peuvent. Tant qu’ils pourront s’en tirer, ils continueront à investir dans les combustibles fossiles, ils continueront à jeter des gens sous le bus pour leur propre gain ».
Greta Thunberg n’a pas assisté à la dernière conférence des Nations unies sur le climat en Égypte l’année dernière, mais Vanessa Nakate, Neubauer et Gualinga ont pris part à des protestations et à des sessions lors de l’événement.
« Ce sont ceux qui sont en première ligne et non des privilégiés comme moi qui devraient parler aux dirigeants lors des réunions de haut niveau », a déclaré Greta Thunberg.
La conférence a été critiquée ces derniers jours pour avoir installé le chef de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi comme président de l’événement de cette année. « Cela envoie le message que la conférence n’est pas prise au sérieux », a déclaré Mme Gualinga.
Mais l’envoyé américain pour le climat, John Kerry, a déclaré à l’Associated Press qu’il soutenait la décision, citant le travail de Sultan al-Jaber sur des projets d’énergie renouvelable.
« Je pense que le Sultan al-Jaber est un choix formidable, car il est à la tête de l’entreprise. Cette entreprise sait qu’elle doit effectuer une transition », a déclaré M. Kerry dimanche après avoir assisté à une conférence sur l’énergie à Dubaï. « Il le sait – et les dirigeants des Émirats arabes unis sont déterminés à assurer la transition ».
Mme Thunberg est arrivée à Davos en provenance d’Allemagne où elle a participé à une manifestation dans une ville en cours de défrichage pour l’expansion d’une mine de charbon. Ses bottes étaient encore couvertes de boue après la manifestation. Elle et plusieurs autres activistes très en vue ont été expulsés de la ville par la police mardi.
« Le niveau d’action, de frustration et de colère qui est là, et on pourrait même dire de désespoir, est pour moi un signal de ce dont nous avons besoin non seulement en Allemagne mais dans le monde entier », a déclaré mercredi à l’AP l’envoyée allemande pour le climat, Jennifer Morgan.
Selon elle, les participants à Davos « sont des décideurs importants qui, s’ils comprenaient vraiment l’objectif de 1,5 degré et prenaient les mesures qui s’imposent, feraient une énorme différence ». Mais elle a reconnu que s’ils ont un rôle à jouer, « ils ne sont pas la solution ».
L’ancien vice-président américain Al Gore a sympathisé avec les jeunes militants, en disant qu’il était d’accord avec les actions de Thunberg en Allemagne.
M. Gore a déclaré mercredi à Davos qu’il existe un fossé « entre ceux qui sont assez âgés pour occuper des postes de pouvoir et les jeunes de ce monde ». Il a ajouté que les militants du climat « sont arrivés à la conclusion que les personnes en position d’autorité ne font pas leur travail ».
Moctar FICOU / VivAfrik


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