Le conseiller municipal indépendant représentant le Congrès des musulmans du Cap par ailleurs président du Comité des comptes publics municipaux, Yagyah Adams a affirmé avec force que l’eau est « un droit humain naturel ». M. Adams faisait référence à la pénurie d’eau que fait face le Cap due à la sécheresse persistante qui présage le « Day Zero » lord d’une interview accordée à nos confrères d’afrique.lepoint.fr. Selon lui, cette situation conduirait à des conséquences désastreuses dans les domaines de la santé, de l’agriculture, du tourisme.
Quel regard portez-vous sur la situation du Cap aujourd’hui ?
La situation est terrifiante et sans précédent. La ville du Cap n’a jamais imaginé atteindre un tel niveau.
Quelle analyse faites-vous des restrictions qui limitent l’eau à 50 litres par jour et par personne ? Comment être sûr que chacun respectera ces réglementations ?
C’est compliqué et difficile, car les habitants du Cap n’ont jamais vécu dans des conditions aussi stressantes. L’eau a toujours été considérée comme un droit humain naturel. Dans les banlieues, les gens sont anxieux et inquiets que la sécheresse devienne une réalité permanente qui exigera d’énormes coûts financiers pour les ressources en eaux alternatives.
Comment les habitants du Cap réagissent-ils depuis la mise en place de ces restrictions d’eau, le 1er février 2018 ? Quel est le pouls de la ville ?
C’est simple, cela se résume à de l’inquiétude et de l’anxiété.
Pensez-vous que le « Day Zero » peut encore être évité ?
Si, et seulement si, nous avons des usines de dessalement expédiées depuis l’étranger, ce qui ajouterait un coût financier énorme pour les contribuables locaux, le « Day Zero » pourra être évité. Mais, pour beaucoup, il ne fait plus aucun doute que le « Day Zero » arrivera. Des mesures prévoient le maintien de soldats pour protéger plus de 200 points de collecte d’eau dans la région du Cap. Une réponse militaire à une crise, qui pourrait devenir sanitaire…
Le manque d’eau pourrait-il conduire à une guerre ?
Tout est possible si les gens deviennent suffisamment désespérés. Peut-être n’y aura-t-il pas la guerre, mais l’agitation civile est probable. Nombreuses sont les personnes à avoir souffert sous l’apartheid, mais elles avaient accès à l’eau. L’eau, c’est la vie, et personne ne peut vivre sans eau.
Quelles solutions durables peuvent être mises en place ?
Les usines de dessalement restent nos seules véritables solutions à long terme.
Alors que nous parlons, quel est le niveau des réserves d’eau dans les barrages et réservoirs du Cap, le statut critique étant fixé à 13,5 % de leur capacité ?
La dernière fois que j’ai vérifié, le niveau était à environ 26 %, mais il a légèrement plu ce vendredi matin (Ndlr : le 2 février 2018). D’aucuns disent que la crise de l’eau réveille les fantômes de l’apartheid et accentue les disparités. Pour illustration, ils citent le cas de familles pauvres des bidonvilles vivant avec 60 litres d’eau durant trois jours quand les riches habitants du Cap utilisent l’eau pour remplir leurs piscines en plein jour… Ironiquement, les gens des townships ont pu bénéficier de l’eau au cours des dernières années. À ce jour, 98 % des résidents du Cap ont accès à l’eau courante. Ainsi, même les habitants des townships, qui historiquement n’avaient pas accès à l’eau courante, seront désormais affectés négativement du fait de la crise de l’eau.
Déjà près de deux décennies avant d’atteindre cette situation critique, des experts tiraient la sonnette d’alarme sur la sécheresse de la ville du Cap en appelant à trouver des solutions avant 2019… Comment expliquer un tel point de non-retour ?
Il y a eu un manque de leadership, un manque de gestion intelligente au niveau politique et administratif. L’actuelle maire, Patricia de Lille, épinglée par son parti Alliance démocratique (Da) pour mauvaise gestion, a été démise de ses fonctions pour la gestion de la crise de l’eau. Elle est remplacée par Helen Zille, elle-même ancienne maire du Cap (2006-2009)…
N’est-ce pas une manière de déplacer le débat ?
L’Alliance démocratique, principal parti politique de la province et de la ville du Cap, a des problèmes internes à régler. En tant que conseiller municipal indépendant, séparé des deux principaux partis politiques, il est difficile de faire des commentaires, car je préfère ne pas juger quoi que ce soit.
Il semblerait qu’il y ait une triple crise : crise de l’eau, de sa gestion et crise politique. La ville du Cap gérée par le parti d’opposition (Da), le gouvernement national : Congrès national africain (Anc) a précisé qu’il n’interviendrait pas dans la crise de l’eau, car cela relève de la municipalité… Comment comprenez-vous cette position ?
Les jeux politiques font partie de tout processus politique. Mais c’est vraiment dommage qu’ils soient autour de la question de l’eau. J’ai toujours pensé que l’approvisionnement en eau devait rester une question sacro-sainte.
Vous avez déclaré : « L’eau, c’est la vie. Sans eau, il n’y a pas de vie, pas d’emplois, pas de progrès. La BBC et CNN ont dit que la ville du Cap serait la première ville au monde à ne plus avoir d’eau. Mes ancêtres ont vécu ici depuis trois cents ans. Ils ont survécu à l’esclavage, au colonialisme, à l’apartheid. Je ne sais pas si nous survivrons à la pénurie d’eau. » Le ton grave de cette déclaration a-t-il changé ?
Pas vraiment. Ma culture musulmane, comme la plupart des cultures, tourne autour du caractère sacré de l’eau. Nous avons besoin d’eau pour la pureté rituelle qui nécessite un nettoyage cinq fois par jour pour prier. Notre culture a survécu à plusieurs décennies d’oppression sévère et d’abus direct. À l’origine, l’islam était interdit sous le colonialisme hollandais. C’est la première fois que notre culture est mise au défi par un facteur environnemental qui, je dois le dire, nous a pris par surprise.
Moctar FICOU / VivAfrik