En Afrique, il s’abreuve de la vie grâce à l’eau potable

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Par Jean-Marc Corset  

« J’ai vu des femmes qui creusaient la dune et des puits à la main pour atteindre la nappe phréatique et récupérer l’eau avec des seaux. Mais l’eau que les gens buvaient était salée.» C’était à Madagascar en 1990. Il y a presque trente ans, le problème de l’eau potable est déjà «une évidence » pour lui. En ce temps-là, Renaud de Watteville créait des événements de skateboard et de snowboard, allant jusqu’à fabriquer des montagnes de neige artificielle à Londres ou à São Paulo. En totale conscience de la valeur de cette matière première, l’entrepreneur s’est mis en tête de transformer l’eau salée en eau potable.

Responsable des animations sportives d’Expo.02, il fait une rencontre cruciale dans sa quête de l’or bleu: l’ingénieur EPFL Jean-François Treyvaud a inventé un astucieux système pour dessaler l’eau de mer. Inspiré par cette technologie, l’entrepreneur planche sur un prototype dans son garage de Belmont-sur-Lausanne, mais il réalise que les personnes ciblées ont surtout besoin d’une machine pour traiter l’eau saumâtre, un peu salée mais très contaminée, souvent au mercure, à l’arsenic ou au fluor.

Bricoleur passionné, mais pas ingénieur, il ne se laisse guère impressionner par la taille du challenge à relever. Aujourd’hui, il en sourit, amusé par sa propre audace. Il développe alors un système de traitement mécanique automatisé, sans chimie et « low cost », qui réduit considérablement le sel et élimine parasites, bactéries, virus, antibiotiques, métaux lourds et micropolluants afin de fournir une eau prête à boire. Ce «kiosque à eau» sera testé au Sénégal. Élément singulier: pour éviter les pépins inhérents à un tel système, il prévoit une gestion à distance – grâce à des capteurs et le réseau GSM – depuis Romanel-sur-Lausanne! C’est là que l’entreprise Swiss Fresh Water (SFW), fondée par les compères en 2008, fabrique les machines. Sur place en Afrique, le gérant du kiosque facture l’eau purifiée environ 1,5 centime le litre pour assurer les salaires et les coûts d’entretien.

Au cœur du continent noir, Renaud de Watteville comprend vite le mode de fonctionnement. « Plus je voyage, moins je juge », remarque-t-il, accréditant l’idée que les voyages forment aussi les anciens. Au Sénégal, chez les plus démunis, à deux heures de pirogue de la vie urbaine, il s’entend dire par un imam que son père, pasteur, « travaillait pour quelqu’un de formidable ». C’est dans ce respect mutuel, dit-il, qu’il va prendre langue avec le chef de la région, Badara Diom, homme aguerri dont il se méfiait de prime abord. Mais, convaincu, ce dernier s’approprie le projet et le conduit tambour battant. De deux kiosques à eau pour le projet pilote soutenu par la Confédération, on est passé désormais à près de 170 machines Swiss made fournissant 100’000 à 120’000 litres potables par jour (selon la saison) pour un bassin de population de 315’000 personnes.

Un impact radical sur la santé

« On voit directement l’impact sur la santé, observe Renaud de Watteville. Il est radical. Certains me disent : « Je n’ai plus le rhume du ventre. » Autrement dit la diarrhée! » Ce réseau de kiosques à eau a généré beaucoup d’emplois directs (plus de 600) et indirects: des femmes ont créé un commerce de glaces, de jus de fruits… Il se réjouit de voir comment ce projet entrepreneurial et humanitaire a tissé de nouveaux liens sociaux au sein des communautés villageoises. Désormais retiré de l’activité opérationnelle de SFW, qui fournit son système dans d’autres pays, il s’occupe de la fondation Access to Water (A2W) – lancée par l’entreprise en 2012 –, qui recherche des fonds pour financer les machines, met en œuvre le projet au niveau local et assure la formation.

Renaud de Watteville voulait distinguer clairement le business de l’humanitaire. L’entrepreneur, pionnier passionné dans tous ses projets – au pied des tours d’Aï à Leysin avec les champions de la glisse comme au bord du fleuve Saloum avec une population locale qui se bat chaque jour pour améliorer ses conditions de vie –, met désormais son âme à nu. Le regard tourné vers un ciel rarement sans nuages, il s’abreuve des messages du Petit Prince, qu’il vient de relire. Le pilote d’avion de formation, empêché de voler à cause d’un daltonisme trop prononcé, enfant terrible de la branche lausannoise de la famille de Watteville, paraît assagi. Le cadet de Jacques, l’ancien diplomate de haut rang «rangé» à la présidence de la BCV, et de deux sœurs, Diane et Caroline, qui rayonne dans la culture, est lui aussi anobli par son riche parcours. Après avoir sillonné le monde, tous retrouvent la fratrie à Lausanne pour entourer leur mère, explique Renaud, ravi.

Il ne cache pas son enfance cabossée qui a façonné son aventure: il a été opéré des jambes à plusieurs reprises à cause d’accidents de sports et il a échoué dans la voie universitaire. J’étais très mauvais à l’école, dit-il pudiquement. Né en Hollande, il a grandi à Paris, où il a été témoin des événements de Mai 68. Il est arrivé à Lausanne à 11 ans, lorsque son père fut nommé à la paroisse de la cathédrale. Dès l’âge de 16 ans, privé de sports trop physiques à cause de ses jambes fragiles, il passe beaucoup de temps sur l’eau comme moniteur de voile. Mais avec des idées plein la tête. Son ami Raphaël Mettler, brasseur des Trois Dames à Sainte-Croix, rencontré dans le monde du skate des années 80, applaudit « un homme qui ne recule pas devant les défis, qui essaie chaque fois de rebondir dans les passages difficiles ».

À 61 ans, Renaud de Watteville songe à transmettre le témoin aux jeunes de sa fondation, en conservant le rôle de consultant. Sans doute pour mieux contempler l’énergie de l’eau, si riche de vie, qui coule dans ses veines d’entrepreneur-aventurier.

Jean-Marc Corset, auteur à 24heures.ch

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