Sénégal : Oser réviser les contrats pétroliers… (Par Mamadou Sy Albert)

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La seconde alternance engage une véritable épreuve politique à travers les contrats liant le Sénégal à ses partenaires à qui il a confié l’exploitation du pétrole, du gaz et des matières minières.

Cet enjeu dépasse largement les effets immédiats de l’affaire Frank Timis se cristallisant autour de la corruption réelle ou imaginaire au cœur de l’investigation de la chaîne britannique.

Le gouvernement du Sénégal a fortement réagi après la diffusion de l’enquête de la chaîne britannique. La rapidité de la réaction sénégalaise, notamment du Président de la République et de son gouvernement, traduisent probablement, à la fois, la surprise et une volonté de parer au plus pressé.

Paradoxalement, en dépit du caractère massif de la communication gouvernementale, l’affaire a pris subitement une tournure inattendue. Les acteurs politiques, les acteurs de la société civile et des franges significatives de l’opinion nationale ont donné à l’affaire un caractère politique.

La communication de l’État a produit un effet boomerang contraire à ses attentes. La dimension politique occulte d’ailleurs, difficilement l’aspect familial de l’affaire au regard des relations biologiques entre le Président de la République en exercice, Macky Sall et son frère, Aliou Sall, le Directeur général de la Caisse de Dépôt et de Consignation.   

Au-delà du caractère personnel ou personnalisé et de l’exploitation politique ou politicienne de cet évènement éminemment politique exploité sciemment par les deux camps, il est question en réalité de la souveraineté économique et politique du Sénégal en matière de gouvernance.

Tout au long de la dernière campagne présidentielle de février 2019, la question des contrats liant le Sénégal à ses partenaires techniques et financiers, singulièrement les contrats pétroliers, gaziers et miniers, ont fait l’objet de propositions de campagne. Tous les candidats-Présidents à la Présidence de la République avaient promis du reste de revoir ces contrats suscitant la controverse publique.

De quoi est-il réellement question ? La seconde alternance semble volontairement oublier que la première alternance a perdu le pouvoir en raison d’une mal gouvernance économique et politique. Jamais la corruption n’a été autant dénoncée sous le règne d’un régime politique au Sénégal.

Le bradage du foncier, les passations des marchés publics de gré à gré, les commissions occultes et les pourcentages attribués directement ou indirectement par le biais de personnes et de sociétés écran à des responsables politiques, constituent des pratiques que l’opposition au régime libéral dénoncera avec véhémence durant les dernières années de l’exercice du pouvoir du Président de la République, Abdoulaye Wade.

La souveraineté politique et économique revêt ainsi un sens aigu au Sénégal. Les libéraux l’ont appris à leur perte. Les républicains se trompent lourdement en pensant être à l’abri de la pression de l’opinion et de ses adversaires.

Le Président de la République, son gouvernement et les souteneurs du régime croient que la transparence est une histoire de loi, de règlements, de mécanismes de gestion concertée avec la société civile et les acteurs de l’opposition. Si les lois et les intentions pouvaient supprimer la corruption, elle aura disparu depuis fort longtemps.

Les groupes privés internationaux sont plus outillés que les États dans la lutte contre la corruption. Les multinationales sont suffisamment averties en matière d’étude de marchés, de gestion des mécanismes de domination et d’influence des États faibles.

Elles jouent à merveille sur divers leviers insoupçonnés pour mettre la main sur des ressources économiques, sur les ressources humaines et sur les mécanismes de fonctionnement de l’État et de ses démembrements.

Ce n’est guère un secret que la corruption a envahi le continent africain, toute l’administration publique sénégalaise et la société dans sa globalité. La seconde alternance est véritablement à la croisée des chemins de la lutte contre la corruption et la défense de la souveraineté. L’une ne va point sans l’autre.

Prendre conscience des enjeux de la souveraineté dans le contexte de la suspicion massive du bradage des biens communs ou persister dans l’exercice de l’illusion d’une gouvernance à l’abri du danger de la perte de souveraineté et de l’influence des corrupteurs professionnels internationaux ?

Le Président de la République, Macky Sall, doit mesurer les conséquences ultimes de la perte de souveraineté sur le pétrole, le gaz, les produits miniers. Il devrait engager une révision courageuse des contrats liant le Sénégal à tous ses partenaires. C’est un moindre mal pour les générations présentes et futures. C’est la base objective de tout consensus d’intérêt national et de la lutte contre le cancer de la corruption.

Mamadou SY Albert           

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