Agriculture : accès rapide aux engrais, le pari gagnant du MAFDE

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Par François Dry

La majorité des agriculteurs africains vivent dans des régions reculées et n’ont quasiment pas accès aux engrais. Il est donc urgent d’élaborer et de mettre en œuvre un programme d’investissement stratégique en vue d’augmenter la disponibilité et l’utilisation de cette ressource ainsi que d’autres intrants qui stimulent la productivité. Depuis 2006, les Etats membres de l’Union africaine (UA) se sont engagés à faire passer le niveau moyen annuel d’utilisation d’engrais de 8 kg par ha à au moins 50 kg par ha. Aussi, ils ont misé sur le Mécanisme africain de financement du développement des engrais (MAFDE) qui servira principalement à relancer la croissance agricole, en valorisant l’utilisation des engrais. Quel a été le chemin parcouru par le MAFDE ?

L’Afrique n’est toujours pas en mesure de se nourrir, d’où la nécessité d’améliorer la productivité agricole. En effet, malgré son vaste potentiel agricole et le fait que la majorité de la main-d’œuvre travaille dans l’agriculture, l’Afrique reste un importateur net de denrées alimentaires. Ce qui accroît la vulnérabilité du continent, surtout en temps de crise. Sa zone subsaharienne, par exemple, possède le taux d’utilisation d’engrais le plus faible au monde, soit entre 10 et 15 kg à l’hectare, ce qui impacte négativement les rendements à l’hectare. Cela représente environ 10% de la moyenne mondiale. Pour trouver une solution à la situation, les États membres de l’Union africaine (UA), dans ce qui est devenu la Déclaration d’Abuja, ont pris l’engagement en 2009 d’améliorer la productivité agricole en octroyant le financement nécessaire pour réduire les obstacles à l’utilisation des engrais. Ils se sont également engagés à contribuer financièrement à la mise en service du Mécanisme africain de financement du développement des engrais (MAFDE) et ont été invités à travailler ensemble pour dynamiser l’utilisation des engrais sur le continent et ainsi parvenir à produire 50kg de nutriments par ha. Lors de ce sommet pour une révolution verte en Afrique en 2006 à Abuja, la Banque africaine de développement (BAD) a été chargée de créer et de gérer le MAFDE. Depuis, hébergé par la BAD, il cherche des solutions financières inclusives afin d’aider les acteurs tout au long de la chaîne de valeur des engrais. Le mécanisme vise non seulement à faciliter l’accès à des intrants de qualité, mais aussi à garantir que les agriculteurs disposent des connaissances nécessaires pour les appliquer de façon efficiente.

De plus en plus d’engrais depuis 2008

La bonne nouvelle est que depuis 2008, on constate une augmentation de l’utilisation des engrais. Mais, les résultats restent très éloignés des objectifs ambitieux fixés par les chefs d’États africains en 2006, soit 50 kg à l’hectare.

Pour l’heure, le continent est à moins du tiers de l’objectif assigné. Celui du MAFDE est d’aider les pays africains à accroître leur productivité agricole tout en garantissant la sécurité alimentaire, une des priorités des Objectifs du développement durable (ODD). Ce qui permettra de suivre la stratégie «Nourrir l’Afrique» de la BAD.

Le MAFDE est devenu opérationnel en 2015, lorsque le capital d’amorçage de 10 millions d’euros, requis pour démarrer les activités, a été constitué. Après la réception de la première promesse de fonds, une coordinatrice a été recrutée en 2017, ainsi que d’autres membres du personnel du Secrétariat en 2018 pour le lancement des opérations.

Mais si les États membres de l’UA se sont engagés à contribuer au MAFDE, actuellement, seuls la Tanzanie et le Nigeria ont fait une promesse de fonds et ont contribué à son capital (respectivement à hauteur de 0,18 et 5,2 millions d’euros). La BAD a apporté 5 millions de dollars et l’AGRA a contribué pour 1 million de dollars. Le MAFDE a reçu à ce jour 12,1 millions d’euros, ce qui représente 67 % des promesses de contributions.

Depuis deux ans, le MAFDE est passé à l’offensive. En 2019, il a lancé deux projets de garantie de crédit commercial au Nigeria et en Tanzanie, pour 4 millions d’euros de garantie et 0,78 million d’euros de don. Les projets devraient être mis en œuvre autour de 2020-2022 pour renforcer les chaînes de valeur nationales des engrais et accroître les échanges commerciaux dans ce secteur. En collaboration avec l’Association des professionnels de l’engrais d’Afrique de l’Ouest (WAFA) et la BAD, le MAFDE a organisé le «Forum ouest-africain sur le financement des engrais (WAFFF)», un événement important pour le secteur, avec l’implication des autorités politiques et les institutions financières gravitant autour du secteur agricole. Sur le thème «Dynamiser l’avenir du secteur des engrais», 247 participants ont  contribué  à  trouver  des mécanismes, des produits financiers et des sources de financement pour accompagner le secteur des engrais en Afrique de l’Ouest.

Le MAFDE a également mis en œuvre une stratégie de communication qui vise à assurer la couverture médiatique de ses activités. Pour ce qui est de sa collaboration avec la BAD, il a entamé des discussions avec différents départements, comme ceux du développement industriel et du commerce (PITD), du développement du secteur financier (PIFD), de l’agriculture et de l’agro-industrie (AHAI)… Les discussions visaient à déterminer s’il était possible de lancer des initiatives/projets communs favorisant le développement du secteur des engrais. Par ailleurs, le MAFDE a entamé en 2019 un processus de développement du projet avec le groupe OCP, un important fabricant d’engrais, pour mettre en œuvre une garantie de crédit commercial en Côte d’Ivoire et au Ghana à travers le programme Agribooster.

Agribooster, une approche inclusive

En octobre dernier, la BAD a donné son accord à une participation du mécanisme dans une garantie de crédit commercial partiel d’un montant de 4 millions de dollars prise aux côtés d’OCP Africa, filiale du groupe OCP. Ce projet réduira les risques potentiels tout au long de la chaîne de valeur agricole et permettra d’améliorer, en Côte d’Ivoire et au Ghana, l’accès aux intrants de qualité, en particulier les engrais. Le projet, qui couvre une période de trois ans (2020-2023) permettra d’aider 430 000 petits exploitants agricoles, dont 104 000 femmes, et facilitera leur accès à des intrants agricoles de qualité à des prix abordables ainsi qu’à des formations aux bonnes pratiques agricoles. Le projet s’appuiera sur l’initiative «Agribooster» d’OCP Africa, qui repose sur une approche inclusive destinée à faciliter l’accès des exploitants à des intrants de qualité, à une formation, à des crédits et à la mise en place de liens commerciaux, afin d’augmenter les rendements et les revenus tout en améliorant les moyens de subsistance. Cette opération devrait stimuler la productivité et contribuer à une augmentation de 35 % des rendements de riz et de maïs au Ghana et de 30 % des rendements de riz en Côte d’Ivoire. Dans cette optique, OCP Africa et le MAFDE apporteront, chacun, deux millions de dollars en garantie de crédit commercial. Pour le premier Vice-président d’OCP Africa pour l’Afrique de l’Ouest, Lahcen Ennahli, «ce partenariat avec la Banque africaine de développement permettra d’intensifier et d’étendre les activités mises en œuvre dans le cadre de l’Initiative «Agribooster». Nous pensons que cette initiative servira de modèle pour inciter davantage les autres partenaires du secteur privé et du développement à conclure des accords similaires de partage de risques, qui auront un effet multiplicateur positif sur les exploitants agricoles, notamment dans le contexte actuel de pandémie de Covid‑19, qui constitue une grave menace pour leur prospérité ainsi que pour la sécurité alimentaire, les intrants et le savoir-faire agricole».

« La Banque africaine de développement se réjouit de s’associer à OCP Africa dans le but d’atteindre l’objectif d’augmentation de la productivité agricole inclus dans sa stratégie, «Nourrir l’Afrique», a affirmé Martin Fregene, Directeur en charge de l’Agriculture et de l’agroindustrie à la BAD. Ce projet s’ajoutera aux opérations de la banque panafricaine destinées à améliorer l’accès des petits exploitants aux intrants agricoles modernes dans le but d’accroître la productivité et de promouvoir les exploitations agricoles comme type d’entreprise rentable et viable en Afrique». Ce projet s’inscrit dans les programmes de développement nationaux du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Il soutiendra la mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement de la riziculture en Côte d’Ivoire et celle du programme « Planting for Food and Jobs » (Planter pour se nourrir et créer des emplois) au Ghana. « À travers ce projet, le Mécanisme africain de financement du développement des engrais remplit sa mission de soutien aux pays d’Afrique dans l’atteinte de l’objectif de l’Union africaine consistant à utiliser au moins 50 kilos d’engrais par ha », a précisé Marie Claire Kalihangabo, Coordinatrice du MAFDE. « Ce projet représente un bon exemple de partenariat nécessaire pour transformer la vie des exploitants agricoles africains et les aider à passer d’une agriculture de subsistance à l’agroindustrie », a conclu Younes Addou, Vice-président en charge des finances à OCP Africa.

Il faut dire qu’aujourd’hui, le Mécanisme a réussi à sonner la mobilisation même du côté des banques commerciales qui autrefois étaient très réticentes pour financer l’agriculture.

Ces dernières ont manifesté leur intérêt pour les mécanismes de partage des risques, qui leur permettrait d’offrir des taux d’intérêt plus bas à 47 membres de l’Association des professionnels de l’engrais d’Afrique de l’Ouest, constituée de grandes entreprises et de PME. Elles ont signalé avoir besoin de plus d’1 milliard de dollars, dont 273 millions pour le financement d’immobilisations à court terme pour gérer correctement toute la chaîne de valeur, de la production d’engrais au mélange, en passant par le transport, le stockage et le renforcement des capacités. À cette fin, les membres de l’association ont été mis en relation avec différents départements de la BAD et des discussions ont depuis été initiées.

Des discussions sont en cours, en particulier avec les banques commerciales régionales, telles que Coris Bank au Burkina Faso, la Société Générale en Côte d’Ivoire et la Rokel Commercial Bank en Sierra Leone. Par exemple, le MAFDE et PIFD ont déjà discuté d’un plan pour créer un instrument exclusif de financement des engrais avec une banque en Sierra Leone, tandis que le Département du développement de l’industrie et du commerce (PITD) a engagé des discussions avec des entreprises individuelles. En effet, suite  à  plusieurs  rencontres  avec  différents  départements  de  la  BAD, le  Département  du développement du secteur financier (PIFD) a approché le MAFDE pour cofinancer et/ou partager les risques dans le cadre d’un projet commun avec la banque commerciale «Rokel Commercial Bank», qui recherche une ligne de crédit pour le financement du commerce de 6 millions de dollars à investir dans le secteur des engrais en Sierra Leone.

Ine fine, le MAFDE a gagné en visibilité et en crédibilité aux yeux de la BAD et des acteurs du secteur des engrais en Afrique de l’Ouest. Les importateurs, les mélangeurs et les distributeurs ont été informés des critères d’éligibilité pour accéder au financement de la BAD et des exigences pour construire des projets aptes à bénéficier d’un concours bancaire.

Un système de garantie commercial

Dans le cadre du modèle de garantie du crédit commercial, les fournisseurs d’engrais fourniront aux opérateurs agroalimentaires organisés en hubs (distributeurs en gros) qui à leur tour vendront les intrants aux détaillants auprès desquels les petits agriculteurs achèteront les produits. Dans certains cas, le fournisseur d’engrais travaillera avec un acheteur qui transmettra les intrants aux agriculteurs organisés en coopératives sans frais additionnels. Le MAFDE partagera ensuite le risque de crédit lié à la transaction avec les fournisseurs à égalité de parts (50%-50%). La garantie de crédit commercial est un fonds renouvelable qui, lorsqu’il est bien géré et surveillé, augmente la disponibilité des engrais.

François Dry, Correspondant de afrimag.net – Casablanca (Maroc)

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