Depuis cette année, la masse de matériaux issus des activités humaines dépasse celle des organismes vivants sur Terre, montre une étude parue dans la revue «Nature». Un symbole frappant de l’emprise exercée par notre espèce sur les processus naturels
Depuis cette année, la masse totale de produits fabriqués par l’homme excède la biomasse globale. La date de ce dépassement historique, au vrai, est estimée à 2020 +/- 6 ans. C’est ce que révèle une étude publiée dans la revue Nature le 9 décembre.
«L’humanité est devenue une force dominante qui façonne le visage de la Terre», écrivent les auteurs, de l’Institut Weizmann des sciences en Israël. Cette équipe a estimé la «masse anthropogénique», c’est-à-dire «la masse des objets inanimés solides fabriqués par les humains, et non encore démolis ou mis hors de service». Les auteurs l’ont comparée à la biomasse globale, regroupant l’ensemble des organismes vivants actuels, soit les végétaux, bactéries, animaux, etc.
Pour quantifier cette biomasse globale, les chercheurs ont synthétisé les estimations issues de diverses méthodologies: inventaires du vivant, télédétection et modélisation. Pour estimer la fameuse masse anthropogénique, ils ont eu recours à «une méthode très robuste et internationalement reconnue, aujourd’hui utilisée par l’OCDE et l’Union européenne pour leurs indicateurs matériels», explique Julia Steinberger, professeure sur les enjeux sociétaux liés à l’impact des changements climatiques à l’Université de Lausanne. Elle se fonde sur les données internationales issues des différents secteurs de production: extraction des matériaux (sable, métaux…), des énergies fossiles, etc.
Envolée exponentielle dès 1950
Le bilan de cette comparaison? «La Terre est exactement à un point où les courbes d’évolution de ces deux masses se croisent», résument les chercheurs. Depuis un siècle, la masse anthropogénique double tous les vingt ans environ. En moyenne, pour chaque humain vivant, la masse d’objets produits équivaut à un peu plus que son poids corporel. «C’est un symbole fort de la pression exercée par les humains sur la planète», relève Franck Courchamp, chercheur CNRS en écologie à l’Université Paris-Saclay en France, qui salue une étude bien faite.
Productions non biodégradables
Si la tendance actuelle se poursuit, la masse de produits générés par l’homme devrait dépasser 3 tératonnes en 2040, prévoient les auteurs. Une folle envolée! «Dès le début du XXe siècle, une image forte a joué dans la prise de conscience environnementale: les activités humaines rivalisaient avec les forces de l’érosion dans les quantités de matière déplacées, commente Augustin Fragnière, de l’Université de Lausanne. Nos productions dépassent maintenant celles des forces biologiques de la nature. Cette étude le confirme donc: les activités humaines sont le principal facteur de changement sur Terre.»
A ce constat, il faut en ajouter deux autres, pointe Franck Courchamp. «Alors que les productions naturelles sont biodégradables, les productions humaines ne le sont pas. Pis encore: elles sont même souvent destructrices des productions naturelles. En outre, la production du ciment et du béton émet de grandes quantités de CO2. Elle contribue donc fortement au réchauffement climatique.» L’anthropocène – «l’ère de l’humain» – n’est décidément pas un mythe.