Avec la Caravane de l’agroécologie au Sénégal : dans la zone des Niayes pour aborder la gestion de l’eau

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Par Raphael Belmin, Chercheur en agronomie, photographe, accueilli à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA, Dakar), CIRAD & Marie-Liesse Vermeire, Chercheuse en écologie du sol, CIRAD                  

Pour sa première semaine d’itinérance, la grande caravane de la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) a parcouru la zone horticole des Niayes (située le long du littoral entre Dakar et Saint Louis) en s’arrêtant dans trois communes : Bambilor, Mboro et Thiès. Les populations consultées sont unanimes : il est urgent d’agir face au déclin des ressources hydriques.

Lundi 7 février 2022, l’équipe d’organisation s’est retrouvée à Bambilor, lieu de la première étape de la caravane. Tout le monde s’affaire dans une atmosphère joyeuse, après des mois de préparation à distance. Sous la tente, on déploie banderoles et kakémonos, on déballe les cartons de T-shirts et casquettes floqués aux couleurs de la caravane 2022.

Retrouvailles dans la joie pour les caravaniers, à Bambilor. Ici, l’équipe de l’association Cicodev Afrique, organisatrice de cette première étape. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND
L’équipe de l’ONG Eclosio, co-organisatrice avec Agrecol Afrique de l’étape de Thiès, découvre les T-shirts de la caravane. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND

Malgré l’excitation, un léger doute plane : y aura-t-il du monde pour cette journée de lancement ? Hasard de calendrier, la veille au soir, les Lions du Sénégal ont remporté leur première Coupe d’Afrique des nations. Le Sénégal tout entier vibre football et le président Macky Sall a fait de ce lundi un jour férié…

Mais la tente se remplit et le maire de Bambilor, Ngagne Diop, peut donner le go :

« Tout le monde a le droit de bien manger, quel que soit son niveau de revenu […]. Nous allons pouvoir porter ce plaidoyer avec la DyTAES. »

Se succéderont au micro les représentants du Conseil départemental de Rufisque, du ministère de l’Agriculture et de l’Équipement rural, du représentant des producteurs et de plusieurs organisations membres de la DyTAES. Des journalistes de la presse nationale sont au rendez-vous pour couvrir l’événement.

De haut en bas et de gauche à droite : ouverture officielle de la caravane par le maire de Bambilor. Prise de parole de Selbe Faye, de la Calebasse verte, lors de l’étape de Thiès. Présentation de la DyTAES par Mamadou Sow, membre du Comité technique de la DyTAES au démarrage de l’étape de Mboro. Lors de la journée d’ouverture de la caravane, la presse nationale interviewe de Fatou Ndoye, représentante du Conseil départemental de Rufisque. Raphaël Belmin/Cirad, Malick Djitte/Fongs, CC BY-NC-ND

Un moment crucial pour l’agriculture sénégalaise

Bambilor constitue la première d’une série de 14 étapes au cours desquelles la DyTAES a entrepris de consulter les ruraux du Sénégal. Chaque étape se déroule sur 1 à 3 jours, émaillés de discours officiels, de conférences de presse, d’ateliers en salle et de visites de terrains.

À chaque fois, une soixantaine d’acteurs représentatifs d’un territoire sont rassemblés : agropasteurs, consommateurs, transformateurs, formateurs, chercheurs, élus, services techniques, médias locaux, ONG…

Cette caravane intervient à un moment crucial de l’agenda politique du pays. Le gouvernement étant en train d’élaborer le plan Sénégal émergent (PSE) vert, principal cadre qui va orienter l’action publique en matière d’environnement et d’agriculture pour les 15 prochaines années. La DyTAES, invitée à participer à la structuration de ce plan, compte s’appuyer sur cette campagne de consultation pour être force de proposition.

Les travaux de groupe sont organisés pour recueillir des recommandations politiques opérationnelles pour alimenter plusieurs cadres de concertation : PSE Vert, Forum mondial de l’eau, COP15 sur la désertification. Le travail est axé sur 4 thématiques : la protection et la restauration des sols ; l’accès et gestion durable de l’eau ; la réintroduction de l’arbre dans les systèmes de production ; la réduction de la dépendance aux intrants chimiques. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND
Dans les travaux de groupe, les participants commencent par identifier les options techniques et organisationnelles permettant de mieux gérer les ressources naturelles comme l’eau et les sols. Ils définissent ensuite, pour chacune des options proposées, les rôles et responsabilités de l’État et des acteurs locaux. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND

Au cœur des débats, l’avenir de l’eau dans les Niayes

Les premières étapes de la caravane se sont déroulées à Bambilor, Mboro et Thiès, trois communes de la zone horticole des Niayes. Située entre Dakar et Saint Louis, cette bande côtière très peuplée est constituée de dunes et de dépressions inter-dunaires où se développent le maraîchage (oignon, pomme de terre, tomate, choux, etc.), l’arboriculture fruitière (mangue, agrumes, papaye, anacarde) et l’élevage de volailles et de petits ruminants.

En tant que premier bassin de production horticole du Sénégal, la zone des Niayes revêt une importance majeure pour l’économie et la sécurité alimentaire du pays.

Les témoignages recueillis ont mis l’accent sur les changements profonds qui questionnent la disponibilité et la qualité des ressources en eaux. La prolifération des forages entraîne une surexploitation des eaux souterraines et, par endroits, une avancée du biseau salin issu de la nappe maritime. À Mboro, Thierno Sarr, agriculteur, se souvient :

« Il y a vingt ans, cette cuvette maraîchère était encore une mare permanente. »

Entre changement climatique, surpompage et pollution chronique, les agricultrices et agriculteurs des Niayes assistent impuissants à la disparition programmée de leur eau si précieuse.

Le trou dans lequel se trouve cet agriculteur de Mboro est une mare asséchée depuis une dizaine d’années. À cause du surpompage, les producteurs maraîchers des Niayes doivent pomper de plus en plus profond pour atteindre la nappe phréatique. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND
Ces ouvriers agricoles de Mboro raccordent des tuyaux pour guider l’eau d’irrigation à travers la parcelle. L’eau est pompée dans la nappe superficielle, stockée dans un bassin de décantation puis mise sous pression grâce à une deuxième motopompe. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND

Créer une émulation au niveau local

Partout au Sénégal émergent des initiatives prometteuses, proposant des manières alternatives de produire, échanger et consommer. Fédérés autour de la caravane 2022, les acteurs de la DyTAES se sont fixé de répertorier, documenter et valoriser ces projets.

Lors des trois premières étapes de la caravane, des présentations orales et des visites de terrain ont été organisées pour mettre en lumière des projets innovants dans les domaines du maraîchage, de l’élevage, de la transformation et de la distribution des produits. Il s’agissait de présenter ces pionniers comme autant d’exemples à suivre pour créer une émulation au niveau local. Avec, pour objectif à terme, de faire apparaître des groupes autonomes comme autant de Dynamiques pour une transition agroécologique locale (DyTAEL).

Visite par la DyTAES du périmètre maraîcher agroécologique de Pout Ndoff (région de Thiès) dont l’objectif est de freiner l’exode dans les territoires. Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND
De haut en bas et de gauche à droite : visite d’une unité de transformation agroalimentaire pilotée par le groupe de femmes Takku Liguey, à Mboro. Centre polyvalent de promotion des personnes vivant avec un handicap à Mont-Rolland (Thiès), où sont formées des jeunes et des femmes à la fabrication de produits artisanaux et agroalimentaires, à la couture et à l’agroécologie. Au centre de formation Seddo Ndam à Darou Ndiaye (commune de Touba Toul), on forme des jeunes à la modernisation de l’élevage caprin et on les soutient dans leur projet d’installation. Visite du marché de producteurs bio du REFABEC à Thiès. Thierno Sall/Enda Pronat, Raphaël Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND

Pour ses prochaines étapes, la caravane trace sa route vers le nord, en direction de la zone sylvopastorale à Linguére, puis dans la vallée du fleuve Sénégal à Podor. Dans ces territoires, le changement climatique et la pression anthropique déstabilisent le mode de vie des cultivateurs et des communautés d’éleveurs nomades.

Marie-Liesse Vermeire (Cirad), Mame Farma Ndiaye Cissé (Isra), Banna Mbaye (Isra), Dienaba Sall Sy (Isra), Jean-Michel Sene (Enda Pronat), Laure Brun Diallo (Enda Pronat), Thierno Sall (Enda Pronat), Mamadou Sow (Enda Pronat), Fatou Diouf (Eclosio), Alice Villemin (Avsf), Malick Djitté (Fongs), Khady Thiané Ndoye (Cicodev Afrique) sont co-autrices et co-auteurs de cet article.

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