Finance climat : Le secteur financier africain doit jouer un rôle de catalyseur d’investissement et d’innovation

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Par Michel Losembe                                    

Dans cette tribune, Michel Losembe aborde l’urgence climatique en Afrique et souligne la nécessité d’adopter des moyens innovants dans la finance verte, pour catalyser le développement durable et répondre efficacement aux défis environnementaux et économiques du continent.

Au lendemain de la COP28, événement décisif pour l’avenir de notre planète, il devient impératif de réfléchir aux retombées et aux décisions prises, en particulier en ce qui concerne l’Afrique. Si cette conférence a marqué un tournant historique avec l’engagement mondial de s’éloigner des combustibles fossiles, avec la reconnaissance de leur rôle prépondérant dans le changement climatique, elle a également vu la création d’un fonds pour les pertes et dommages liés au climat. Cependant, malgré ces avancées, les pays africains ont quitté les discussions avec un sentiment d’insatisfaction, pointant le manque de nouveaux engagements financiers significatifs pour soutenir la transition énergétique du continent et l’adaptation aux impacts climatiques.  Frustration qui révèlent à quel point il est urgent aujourd’hui pour l’Afrique de reconsidérer ses stratégies financières face à des promesses internationales d’abord non tenues et encore insuffisantes pour répondre pleinement à ses besoins spécifiques en matière de financement climatique​

Changer de paradigme face au statu quo

L’African Financial Industry Summit (AFIS), récent mais crucial, a mis l’accent sur la nécessité pour l’Afrique d’intensifier sa recherche de solutions innovantes en finance verte. Avec moins de 4 % des émissions mondiales, le continent reste disproportionnellement touché par les changements climatiques, comme le souligne le récent rapport du GIEC (2023). Ce constat se traduit par des pertes économiques dévastatrices, estimées entre 5 et 15 % de croissance du PIB par habitant, avec des impacts majeurs sur des secteurs vitaux tels que l’agriculture, l’eau et l’énergie.

Une étude de Deloitte, publiée en novembre 2022, met en garde contre les conséquences économiques désastreuses de l’inaction face au changement climatique. Dans un scénario où la température mondiale augmenterait de 3 °C, l’Afrique pourrait subir des pertes colossales. D’ici 2070, le continent pourrait voir son PIB chuter de 2 000 milliards de dollars, représentant une réduction de près de 14 %. En comparaison, l’impact sur le PIB de l’Europe serait de -1,5 %, tandis que les Amériques pourraient connaître une baisse de -5,7 %.

Malgré cette vulnérabilité accrue, l’Afrique ne capte qu’une modeste part des financements climatiques mondiaux, soit seulement 3 %.

Prenons le cas de la République Démocratique du Congo prend tout son sens. La CDN du pays prévoit une réduction de 21% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, avec un budget estimé à 48 milliards $. Cependant, cette ambition financière repose sur une réalité préoccupante : 98% de ce montant est conditionné à un financement international, tandis que seulement 2% sera couvert par des fonds nationaux. Cette dépendance vis-à-vis du financement international soulève un enjeu majeur : sans un changement de paradigme dans le mode de financement, notamment vers des solutions plus innovantes, il y a un risque réel que les objectifs de la COP28 et des précédentes COP ne demeurent qu’illusoirs.

Face à ce tableau peu reluisant, il est vital pour le continent d’explorer un nouveau paradigme, un nouveau modèle de financement. La finance verte se présente alors comme un impératif écologique et un levier de développement économique.

Le Sommet de Nairobi a récemment mis en évidence l’ambition de porter la production d’énergies renouvelables de l’Afrique de 56 gigawatts en 2022 à au moins 300 gigawatts d’ici 2030, avec des investissements majeurs allant jusqu’à 600 milliards de dollars. Cette ambition montre bien la prise de conscience croissante de l’énorme potentiel de l’Afrique dans le domaine des énergies propres, notamment le solaire, l’éolien et la géothermie. Avec 40 % des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine, notre continent joue un rôle stratégique dans la transition énergétique mondiale. Ces ressources sont essentielles pour les technologies de batteries et les piles à hydrogène, cruciales pour un avenir énergétique durable. Avec une population de 1,4 milliard d’habitants, dont 600 millions n’ont pas accès à l’électricité, l’urgence est double : répondre aux besoins énergétiques croissants tout en adoptant des solutions écologiques et durables.

A l’avant-garde de l’innovation

A l’avant-garde de l’innovation, l’Afrique explore activement de nouveaux mécanismes de finance verte. Alors que l’heure est à la mobilisation du financement pour les énergies renouvelables, l’agriculture durable, la gestion efficace des ressources en eau et des déchets, la finance verte avec ses instruments innovants, tels que les obligations vertes, les fonds dédiés et les initiatives de financement participatif, est cruciale. Ces mécanismes, y compris ceux de blended finance, sont essentiels pour dérisquer les transactions climatiques et attirer des investissements significatifs.

Dans cet esprit, la République Démocratique du Congo a lancé un partenariat innovant, ‘People, Forests and Nature : Partnership for the New Climate Economy of the Democratic Republic of Congo’, doté d’un financement initial de 62 millions de dollars. Ce partenariat cible la conservation des forêts précieuses, des tourbières, et des zones de biodiversité. Il vise également à stimuler l’investissement privé dans des secteurs durables, notamment l’agriculture durable, l’énergie renouvelable, et l’écotourisme, marquant un pas significatif vers un développement durable et une économie climatique innovante.

Il ne s’agit pas uniquement de mobiliser des financements, mais aussi de développer des projets qui respectent les critères de durabilité environnementale et qui sont économiquement viables. L’ambition est de créer une synergie où finance et durabilité s’entrelacent, où les projets verts ne sont pas perçus uniquement comme des initiatives écologiques, mais aussi comme des opportunités économiques tangibles. Cet écosystème devra également assurer que les projets soient en adéquation avec les besoins spécifiques et les capacités des diverses régions africaines.

L’Afrique dans son élan doit maintenant et plus que jamais s’ouvrir davantage aux mécanismes innovants, car elle en a le potentiel.

Le Gabon illustre brillamment cette potentialité avec ses initiatives d’échanges de dette contre nature. Ces mécanismes, ainsi que les paiements pour services écosystémiques (PSE) et le marché des crédits carbone, représentent des atouts précieux pour une symbiose entre économie et écologie. Selon l’Africa Carbon Markets Initiative (ACMI), le marché des crédits carbone en Afrique pourrait atteindre 6 milliards de dollars annuellement d’ici 2030, avant de franchir la barre vertigineuse des 100 milliards de dollars d’ici 2050.

Cependant, les défis ne sont pas négligeables. Les disparités réglementaires et les contraintes infrastructurelles entravent la mise en œuvre de la finance verte. La part consistante de la solution réside dans l’harmonisation des politiques financières et la coopération transfrontalière surtout intra-africain. Le rôle du secteur financier est crucial : il doit agir comme un catalyseur.

Michel-Emery Losembe, Managing Director Tshinu Consulting Administrateur représentant les Petites et moyennes entreprises (PME) au Conseil de la Fédération des cntreprises du Congo

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