À partir du 15 octobre 2025, l’Union Européenne (UE) mettra en place un règlement ambitieux, interdisant l’admission sur son marché des produits agricoles liés à la déforestation. Cette décision concerne plusieurs matières premières cruciales, notamment le cacao, le soja, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le bois, les produits bovins, et leurs dérivés, si ces derniers proviennent de terres où la déforestation a eu lieu. Le Règlement européen sur la déforestation (RDUE), connu sous le nom de Règlement 2023/1115, vise à limiter la déforestation et ses effets négatifs sur la biodiversité et le climat, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
Cette mesure de « zéro déforestation » imposera aux exportateurs de prouver que leurs produits ne sont pas liés à la déforestation ou à la dégradation des forêts, en fournissant des coordonnées géographiques précises pour chaque lot de production. Le règlement est déjà en vigueur depuis décembre 2020 pour les produits entrant dans l’UE, et il concernera également la traçabilité des produits dérivés de ces matières premières.
Les producteurs de cacao face à un avenir incertain
Le cacao est un produit de consommation courante en Europe, mais sa production reste largement dominée par des pays africains comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui produisent près de 50 % du cacao mondial. Le Congo, la République Démocratique du Congo (RDC) et d’autres pays d’Afrique centrale voient également une part croissante de leur économie reposer sur cette culture, malgré une faible consommation locale. La mise en œuvre de la réglementation européenne pourrait mettre en péril l’accès des producteurs africains au marché européen.
Xavier Kazadi, un entrepreneur congolais spécialisé dans le cacao, met en lumière les préoccupations de nombreux producteurs. Il souligne que si l’UE cesse d’importer du cacao provenant de terres ayant subi la déforestation, la demande pourrait s’effondrer. « En Afrique, il n’y a pas assez d’usines de transformation, et la population consomme peu de cacao. Notre avenir dépend de l’exportation. Même le prix du cacao est fixé par le marché mondial », précise Kazadi.
L’économie du cacao et la faible valeur ajoutée de la production africaine
Le marché mondial du cacao a produit 5 millions de tonnes en 2023, mais la majorité des fèves sont transformées en Europe, notamment aux Pays-Bas, le plus grand centre de transformation avec 12 % de la production mondiale. En Afrique, malgré une production croissante, la transformation locale reste limitée, ce qui empêche de maximiser la valeur ajoutée du cacao.
Awa Tisighe, président d’une coopérative de producteurs de cacao au Cameroun, estime qu’il est crucial que l’Afrique apprenne à consommer et transformer son propre cacao. « Si l’UE refuse le cacao de terres déforestées, cela aura un impact direct sur l’économie des producteurs. Nous devons d’abord développer une consommation locale pour renforcer l’offre et la demande », affirme Tisighe.
Le Cameroun, 4e producteur mondial de cacao, se trouve au cœur de ce défi. La production est stable depuis 2016, mais le pays reste dépendant des exportations vers l’UE et d’autres marchés mondiaux. La question du cacao « légal » reste également floue dans de nombreux pays africains, ce qui complique l’application de la RDUE. Le cacao est l’un des moteurs de la déforestation au Cameroun, où des plantations se trouvent souvent dans des zones de forêts protégées ou non durablement gérées.
Le rôle de la traçabilité et des initiatives de durabilité
Le projet « Cacao Life » de Mondelēz International, géant mondial du chocolat, s’inscrit dans un effort pour garantir la traçabilité et la durabilité du cacao. La société s’engage à aider les producteurs à adopter des pratiques plus durables et à lutter contre la déforestation. « Nous travaillons avec nos fournisseurs pour nous assurer que chaque lot de cacao respecte les normes de traçabilité et de diligence raisonnable conformément à la RDUE », déclare un porte-parole de Mondelēz.
Cependant, l’un des défis majeurs reste la capacité à retracer la provenance du cacao, notamment dans les régions où la déforestation a eu lieu. La RDUE exige que les producteurs, exportateurs et importateurs soumettent les coordonnées géographiques des plantations pour garantir que le cacao ne provient pas de zones récemment déforestées.
Vers une transformation durable et un marché local renforcé
L’Afrique doit également développer son propre marché pour le cacao et ses produits dérivés. L’augmentation de la transformation locale pourrait aider à limiter la dépendance à l’exportation tout en offrant des opportunités économiques aux producteurs. Comme le suggère Tisighe, « il est crucial que les gouvernements africains encouragent la transformation locale et les chaînes de valeur ajoutées, ce qui renforcerait l’économie tout en réduisant les pressions sur les forêts. »
L’appel à une action conjointe
La mise en œuvre de la réglementation de l’UE sur la déforestation constitue un défi de taille pour les producteurs de cacao, mais elle représente aussi une opportunité pour réinventer la chaîne de valeur du cacao et adopter des pratiques plus durables. Les producteurs africains devront naviguer entre contraintes environnementales et nouvelles exigences du marché, tout en cherchant à développer une consommation locale et renforcer la transformation sur le continent. Seule une action collective, associant gouvernements, entreprises et communautés locales, pourra garantir un avenir durable pour cette industrie clé.
Moctar FICOU / VivAfrik