À Madagascar, l’agriculture familiale fait face à des défis majeurs pour adopter une transition agroécologique durable. Bien que les initiatives agroécologiques se multiplient sur l’île, leur succès reste limité par plusieurs obstacles politiques et pratiques. L’agroécologie, perçue comme une solution pour améliorer la productivité agricole de manière durable, peine encore à s’intégrer pleinement dans les politiques publiques et à se diffuser à grande échelle. L’adoption de ces pratiques est freinée par des défis socio-économiques, un manque de coordination entre les acteurs et des contraintes d’accès aux ressources.
Une étude récente menée par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) sur les Exploitations agricoles familiales (EAF) montre que ces exploitations sont intéressées par l’agroécologie, mais rencontrent des difficultés à en tirer pleinement profit. En effet, elles souffrent de faibles capacités productives et d’un soutien insuffisant. L’étude souligne également que l’agroécologie nécessite une approche territoriale et recommande de renforcer les capacités des exploitations agricoles tout en améliorant la coordination des politiques publiques afin de surmonter les verrous institutionnels.
L’essor des initiatives agroécologiques à Madagascar
Au cours des dernières années, l’agroécologie a pris de l’ampleur à Madagascar, avec une multiplication d’initiatives sous forme de projets, programmes, et mouvements sociaux dans diverses régions telles que Boeny, le Grand Sud, les Hautes Terres et Menabe. Cependant, malgré cet enthousiasme, l’intégration de ces pratiques dans les politiques publiques reste encore marginale et la diffusion à grande échelle peine à se concrétiser.
Dans le cadre du projet ProSol (Protection et Réhabilitation des Sols pour la Sécurité Alimentaire), le Cirad a évalué l’impact socio-économique de l’agroécologie sur les exploitations agricoles familiales, qui représentent la majorité des exploitations sur l’île. L’étude a porté sur 400 ménages ruraux dans quatre communes de la région Boeny, au nord-ouest de Madagascar, dont 200 ont bénéficié d’un soutien pour l’adoption de pratiques agroécologiques.
Les freins à la transition agroécologique
Les résultats de l’étude montrent que, bien que les exploitations familiales aient la capacité et l’intérêt d’adopter des pratiques agroécologiques, elles peinent à en maximiser les bénéfices en raison de leur faible productivité et du manque de ressources. De plus, l’ampleur du soutien apporté est insuffisante pour enclencher une véritable transition. Une des principales difficultés identifiées concerne la vulnérabilité des exploitations agricoles, notamment celles situées dans des régions les plus touchées par la pauvreté, où le défi est également de sortir les ménages agricoles de la pauvreté.
Une approche sur mesure pour chaque territoire
Il est apparu que toutes les pratiques agroécologiques ne conviennent pas à tous les contextes. Elles varient en fonction des conditions biophysiques, institutionnelles et socio-économiques locales. De plus, de nombreuses pratiques nécessitent des investissements dans des facteurs de production, tels que la terre, le bétail ou l’équipement agricole, que de nombreuses exploitations n’ont pas. Ainsi, la territorialisation de l’agroécologie, c’est-à-dire son adaptation à chaque contexte local, nécessite un renforcement des capacités productives des exploitations agricoles et une amélioration des conditions socio-économiques locales.
La nécessité de renforcer les capacités productives
Les projets agroécologiques financés par des fonds internationaux se concentrent souvent sur des formations et des études, mais l’augmentation des capacités productives des exploitations nécessite davantage. Il est essentiel d’investir dans des infrastructures agricoles telles que l’irrigation, les aménagements fonciers, les animaux d’élevage, et le matériel agricole pour améliorer la productivité des exploitations agricoles. C’est ce type d’investissement qui favorisera un passage réel à une agriculture plus durable et plus performante.
Diffusion à grande échelle et coordination des acteurs
Malgré la multiplication des projets agroécologiques, leur impact demeure limité par le temps (les projets durent en moyenne cinq ans) et l’espace (souvent moins d’une quinzaine de communes). Les pratiques les plus couramment adoptées sont celles qui existent depuis longtemps, comme la rotation des cultures et les associations de cultures. Ces pratiques, bien qu’efficaces, ont nécessité un long processus d’apprentissage et d’adaptation avant d’être adoptées à grande échelle.
Pour réussir la transition agroécologique à Madagascar, il est nécessaire de coordonner les efforts de tous les acteurs impliqués, y compris les organisations paysannes, le secteur privé, les ONG, les bailleurs de fonds et les institutions de recherche. Une gouvernance efficace et une forte coordination entre les acteurs à différents niveaux (régional, local et national) sont des éléments essentiels pour faire évoluer les systèmes agricoles et garantir leur durabilité.
Lever les obstacles politiques et institutionnels
L’un des principaux obstacles à l’adoption de l’agroécologie à Madagascar reste la déconnexion entre les différents niveaux d’intervention des projets et politiques de développement. Il existe également une forte sectorisation de l’action publique, avec des politiques souvent cloisonnées entre agriculture, environnement, nutrition et économie. Un décloisonnement est donc nécessaire, impliquant une intégration de l’agroécologie dans des stratégies de développement territorial qui prennent en compte l’ensemble des acteurs des systèmes agroalimentaires.
La transition agroécologique doit s’appuyer sur une action collective, avec des politiques publiques claires, une coordination renforcée des acteurs et des investissements adaptés. Si des ajustements marginaux sont faits dans les systèmes agricoles, il est essentiel de changer de paradigme pour favoriser une agriculture plus durable et plus respectueuse de l’environnement.
Moctar FICOU / VivAfrik