Le Soudan du Sud a fait face, en 2024, à une nouvelle tragédie climatique avec des inondations dévastatrices qui touchent une fois de plus des millions de personnes. Depuis six ans consécutifs, le pays est frappé par des crues catastrophiques, et cette année, ce sont près de 1,4 million de personnes qui ont été impactées, dont 379 000 ont dû fuir leurs foyers. Le comté d’Ayod, situé dans la région du Nil supérieur, a vu une grande partie de sa population nuer se déplacer vers l’est, cherchant refuge sur les rives du canal de Jonglei, un des rares endroits à offrir un semblant de sécurité face à l’élévation des eaux.
Pajiek : un village de réfugiés climatiques sans services de base
C’est dans ce contexte que le village de Pajiek a vu le jour, en 2021, à l’est du canal de Jonglei. Ce village, fondé sur des terres inondées, abrite aujourd’hui plus de 8 000 personnes. Mais les conditions de vie y sont extrêmement difficiles. Les huttes traditionnelles, appelées tukuls, avec leur toit de chaume, et les abris de fortune construits par les déplacés sont disséminés le long du canal. Le paysage est marqué par l’absence totale de services de base, à l’exception de l’aide humanitaire, notamment les distributions alimentaires régulières du Programme alimentaire mondial (PAM), qui apportent un peu de réconfort aux familles.
Mathok Kong Char, un employé de l’ONG Catholic Relief Services, témoigne de la situation désastreuse : « Lorsque les habitants sont arrivés ici, c’était un véritable choc. Ils ont tout perdu dans les inondations de 2021. Ils n’avaient rien : ni abris, ni couvertures, ni vivres. Tout était parti sous l’eau. » Les femmes font la queue chaque jour pour recevoir une ration de sorgho, l’un des seuls aliments disponibles dans le village.
Les inondations récurrentes : un phénomène qui dure depuis les années 1960
Les inondations sont loin d’être un phénomène nouveau pour cette région du Soudan du Sud. Ce cycle d’expansion des marais du Nil dure depuis des décennies, un processus que les habitants de Pajiek connaissent trop bien. Le chef coutumier de la communauté, Peter Kuach Gatchang, évoque les déplacements forcés qu’a connus la population locale dans les années 1960 : « La communauté a été déplacée vers l’est à cause des inondations il y a plus de 60 ans. Aujourd’hui, grâce au canal de Jonglei, nous avons une sorte de digue naturelle. Mais si les inondations persistent et que nous sommes contraints de fuir à nouveau, nous ne savons pas où nous irons. » Ce constat tragique souligne la vulnérabilité des populations face à l’impact du changement climatique.
La vie à Pajiek : un quotidien de lutte pour la survie
La vie à Pajiek est un combat de chaque instant. Nyabuot Reath Kuor, une des déplacées, raconte son quotidien : « Je me dirige rapidement chez moi avec un sac de sorgho de 50 kg sur la tête. La vie ici est difficile, mais retourner à Gorwai, mon village natal, semble désormais impossible. Gorwai est complètement sous l’eau. Tout a changé là-bas. Les arbres sont morts, et il ne reste que des herbes hautes. Nous ne reconnaissons même plus l’endroit où était le village. C’est devenu un marécage. »
Gorwai, qui était autrefois le foyer de milliers de personnes, est aujourd’hui englouti sous les eaux, un exemple frappant des effets dévastateurs des inondations sur les communautés locales. Comme l’explique Mathok Kong Char, les inondations ne montrent aucun signe de diminution, et la population de Pajiek vit dans l’incertitude, ne sachant pas quand, ou si, les eaux se retireront.
Les défis de la santé à Pajiek
Le chef Peter Kuach Gatchang se montre également préoccupé par l’absence de services médicaux dans le village. « Nous n’avons aucune infrastructure de santé ici. Les malades doivent être transportés à pied, souvent à travers des eaux profondes, pour atteindre la clinique la plus proche. C’est inacceptable. Les autorités ne se préoccupent pas de notre situation. » Cette absence d’accès aux soins de santé représente un autre défi majeur pour les habitants de Pajiek, qui se battent chaque jour pour leur survie.
Pajiek, village de réfugiés climatiques, est le reflet de la crise humanitaire grandissante que traverse le Soudan du Sud en raison des inondations récurrentes et du changement climatique. Avec des millions de personnes touchées chaque année par les crues, la situation des déplacés devient de plus en plus précaire. Sans une aide internationale constante et une prise en charge des autorités locales, l’avenir des habitants de Pajiek et d’autres villages similaires reste incertain.
Moctar FICOU / VivAfrik