La déforestation est une affaire humaine

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Par Jean-Francois Bastin & Fabien Quétier

Du Brésil à la Turquie, les défrichements à tout-va détruisent les écosystèmes et augmentent les risques d’incendie. Pour y remédier, il faut gérer les forêts avec celles et ceux qui y vivent.

La pandémie du Covid-19 a occupé l’espace médiatique pendant des mois, mais aussi notre espace mental. Pourtant, les feux de forêts en Sibérie qui viennent de reprendre nous rappellent l’ampleur des défis écologiques qui nous attendent. Ces feux libèrent du CO2 dans l’atmosphère, la fonte du permafrost dégage du méthane, contribuant ainsi à réchauffer le globe et de fait augmenter les risques d’incendie. Cela porte un nom : une boucle de rétroaction. Mais ne réduisons pas le sujet à cette actualité-là.

L’année dernière, les incendies en Amazonie et en Australie ont fait la une des journaux. Pour la première fois, les forêts étaient à l’ordre du jour du G7. Nous avons tous en tête des images d’arbres et de maisons en feu, d’animaux calcinés, de fumées, de nuages titanesques et de ciels teintés de rouge. Depuis, le monde a changé. Nous nous sommes mis en pause et la crise sanitaire nous a rappelé à quel point nous devons plier devant les forces de la nature. Mais avons-nous bien compris la leçon ?

Dévastation des incendies à venir

Pendant le confinement, la déforestation a accéléré en Indonésie et au Brésil. Signe avant-coureur des incendies évoqués plus haut, les températures de surface en Sibérie, au-delà du cercle polaire arctique, ont atteint plus de 35°C le 20 juin. En Europe les conditions sont réunies pour une nouvelle crise. Les températures et la sécheresse relative des sols aidant, nous n’aurons peut-être pas besoin d’aller loin pour être choqués par la dévastation des incendies à venir.

Le dernier rapport sur l’état des forêts du monde publié par les Nations Unies et la FAO se veut rassurant. La déforestation a ralenti par rapport à ce que l’on a connu dans les années 90. Pourtant, malgré les déclarations aux Nations unies, les engagements des entreprises et les marches pour le climat, nous continuons de perdre 5 millions d’hectares de forêt par an depuis vingt ans, principalement en Afrique et en Amérique Latine.

Problème de stratégie

En septembre 2019, Nestlé et Procter & Gamble ont annoncé que leur stratégie de «déforestation zéro» avait échoué. Unilever, ayant aussi raté ses objectifs pour 2020 annonce de nouvelles cibles pour 2023 et relève son ambition. En Turquie, la plupart des 11 millions d’arbres plantés lors de la journée nationale de la foresterie 2019 sont morts quelques mois après leur plantation. Pourquoi ces échecs à répétition ? Le green washing n’est pas seul en cause, c’est aussi un problème de stratégie.

Il y a bien sûr des incertitudes sur la réponse du système Terre. Mais l’une des principales raisons pour ces échecs répétés réside dans la fixation d’objectifs sans reconnaître le rôle des humains impliqués dans les paysages que nous voulons changer. Les paysages ne se décrètent pas. Ils sont le résultat de la somme des choix et actions individuelles des hommes et des femmes qui y vivent, tous les jours.

Nous avons deux choix

Alors, au lieu de déclaration d’intentions et de plantations massives, plaçons au cœur de notre analyse une vraie compréhension des processus de décision. Entendons que les chasseurs rentrent en brousse pour nourrir leurs enfants et payer des fournitures scolaires. Réalisons que les fermiers défrichent car ils n’ont pas de terre. Acceptons que nos animaux d’élevage sont nourris avec du soja et que pour nous le vendre, les agriculteurs font reculer la forêt. Parce que les hommes et les femmes qui y vivent en décident ainsi, et que nous ferions pareil à leur place.

Nous, ici, loin des forêts tropicales, avons deux choix : forcer leur main, ou les aider à décider autrement. La première option est un échec. En revanche, nous savons désormais comment faire pour les aider : il faut rendre explicite les hypothèses qui sont faites lorsque des décisions sont prises et des lois promulguées. Ces hypothèses, rendues visibles, peuvent faire l’objet d’un débat démocratique. Lorsque nous l’avons fait, que ce soit sur les négociations autour de la gestion forestière dans le bassin du Congo ou bien avec les acteurs de la filière de l’huile de palme en Colombie, au Cameroun et en Indonésie, cela a fonctionné. On ne discute plus dès lors de ce qu’il faudrait faire, mais de ce que l’on peut faire et comment y parvenir. Et pour peu que l’on comprenne comment les principaux intéressés décident, quelles sont leurs contraintes, leurs besoins, leurs aspirations, on peut trouver le chemin. Oh ! Il y aura encore débat, mais ce débat-là sera infiniment plus constructif que des prises de position idéologiques reposant sur une illusion de comprendre des systèmes si complexes que même les experts peuvent s’y perdre.

L’été arrive. Comme pour la pandémie, nous sommes confrontés à une réalité nouvelle. Alors, avant les feux, ce dont nous avons surtout besoin, ce sont de bâtisseurs d’accords et non pas d’idéologues ou pire encore, d’inconscients. La déforestation est une affaire humaine et il est urgent de donner toute leur place aux vrais décideurs qui ont l’avenir des forêts entre leurs mains. Faute de quoi nous aurons longtemps le goût de cendres dans la bouche.

Jean-Francois Bastin chercheur à l’université de Gand (Belgique), laboratoire Computational & Applied Vegetation Ecology et Fabien Quétier, directeur d’étude chez Biotope, cabinet de conseil spécialisé dans la gestion des écosystèmes

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