Afrique subsaharienne : les producteurs indépendants d’électricité au soutien des défis liés au financement des énergies renouvelables

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 Par Catherine Dupuy-Burin des Roziers et Anaïs Reilhac

Les projets de production d’énergie indépendante en Afrique subsaharienne restent importants pour « étendre l’accès à l’électricité aux 600 millions d’habitants qui en sont encore privés ».

Dans le courant du mois de novembre 2020, l’Etat d’Eswatini (anciennement dénommé Swaziland), pays enclavé en Afrique du sud, a publié un appel à manifestation d’intérêt à destination de producteurs indépendants d’électricité (« Independent power producer » (IPP)) pour le développement d’une centrale photovoltaïque de 850 kWc à l’aéroport international.

Au Mali, le groupe énergétique français Akuo Energy, un producteur d’électricité indépendant, a mis en service la centrale Kita, plus grande centrale photovoltaïque d’Afrique subsaharienne.

Ces initiatives font écho au rapport de la Banque mondiale de 2016 qui considère que les projets de production d’énergie indépendante en Afrique subsaharienne sont capitaux « pour étendre l’accès à l’électricité aux 600 millions d’habitants qui en sont encore privés ».

En effet, les capacités installées dans toute l’Afrique subsaharienne en 2018 (hors Afrique Sud) s’élevaient à seulement 80 GW, près de trois fois moins que la France qui compte une population vingt fois supérieure.

Les besoins de financement du secteur de l’énergie électrique dépassent de loin ce que peuvent offrir les finances publiques des Etats d’Afrique subsaharienne et des institutions de développement internationales. Les Etats doivent donc attirer un plus grand volume d’investissements privés pour accroître la capacité de production et étendre l’accès à l’électricité à tous.

Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte actuel de crise sanitaire dans la mesure où une partie du financement disponible des acteurs traditionnels va être orientée vers la gestion directe et immédiate de cette crise.

Si ces projets de production d’électricité indépendante semblent être le remède miracle à l’électrification en Afrique subsaharienne, quelles sont les conditions juridiques liées à leur succès ?

Les producteurs d’électricité indépendants sont des entités, généralement privées, qui soumissionnent à des appels à manifestation d’intérêt (ou appels d’offres) afin de produire et vendre de l’électricité aux services publics et/ou utilisateurs finaux à travers un contrat d’achat d’électricité (« power purchase agreement » (PPA)).

L’intérêt de ces contrats d’achat d’électricité réside dans la contractualisation sur une longue durée des conditions de vente et d’achat de l’électricité, ce qui permet de réduire les risques liés à l’investissement dans les projets électriques.

En effet, les Etats laissent à des entités privées le soin d’investir, de construire et de faire fonctionner de nouvelles centrales lorsqu’ils n’en ont pas la capacité (technique, financière,…), tandis que ces entités privées, frileuses en raison de risques élevés et de faibles retours sur investissement, bénéficient d’une sécurité des prix sur le long terme.

Néanmoins, la complexité de ces contrats impose une attention particulière lors de leur négociation et de leur rédaction afin d’établir une allocation des risques équilibrée et rentable pour chacune des parties. Les enjeux porteront principalement sur le prix, les obligations de chacune des parties, la résiliation du contrat et ses conséquences, le changement de réglementation, la cession du contrat et les garanties.

Au regard de l’importance de ces enjeux, il est donc crucial que les parties soient assistées par un conseil juridique qualifié.

Les parties sont d’autant plus exposées compte tenu de la durée longue de ces contrats (entre 20 et 35 ans), durant laquelle il faut pouvoir prendre en compte le « risque pays », mais aussi le coût de la technologie. Les conflits politiques qui ont émergé lors d’élections présidentielles, et la chute du coût des technologies solaires ces dernières années en témoignent.

Par ailleurs, le prix est le point central de ces contrats d’achats en Afrique subsaharienne. En effet, il existe un risque élevé lié à la faiblesse des monnaies locales et au taux de change volatile. Les contrats d’achat d’électricité sont généralement libellés dans une devise forte, telle que le dollar, du fait de l’importation des composants d’une centrale d’énergie renouvelable (panneaux solaires, pâles d’éoliennes,…). Les entités publiques qui achètent l’énergie produite la revendent ensuite en monnaie locale à taux de change faible, très volatile et dépendant du cours des matières premières. Une variation soudaine peut ainsi mettre en péril la viabilité économique des projets et une attention particulière doit être portée sur la capacité à rapatrier les revenus et les fonds.

Parmi les solutions envisageables, il est possible de fixer le prix du contrat en francs CFA (dont la parité avec l’euro est fixe), de prévoir une réévaluation du prix d’achat de l’électricité en cas de variation du franc CFA ou encore insérer une clause de force majeure (dont la crise actuelle a démontré la pertinence).

Enfin, les producteurs d’électricité indépendants dépendent souvent d’un client unique : la société nationale qui gère le réseau de distribution et achète l’électricité aux producteurs. Un défaut de cette entité publique laisse planer un risque majeur.

A cet égard, la province du Cap occidental en Afrique du Sud vient d’obtenir le droit de s’approvisionner directement auprès de producteurs indépendants, sans avoir à passer par la société nationale Eskom, limitant ainsi le risque lié au client unique.

Quoi qu’il en soit, afin d’assurer le succès et le développement de ces projets, les Etats africains devront nécessairement doter le secteur énergétique de politiques, structures et environnements réglementaires clairs et propices à l’investissement, établir une planification énergétique à long terme et prévoir des incitations politiques et budgétaires appropriées pour un déploiement plus rapide des énergies renouvelables sur le continent.

Catherine Dupuy-Burin des Roziers, avocat associée BCTG Avocats et Anaïs Reilhac, avocat, BCTG Avocats

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