La Grande muraille verte du Sahel et ses effets inattendus sur le climat

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Par Nathalie Mayer

La Grande muraille verte, c’est un projet ambitieux dans une région secouée. Celui de planter, dans le Sahel, des millions d’arbres pour lutter contre la désertification et ses effets néfastes sur les populations. Mais des chercheurs rappellent aujourd’hui, simulations à l’appui, que les impacts d’un tel projet de géoingénierie pourraient être bien plus profonds. Et pas toujours positifs.

La Grande muraille de Chine. Tout le monde la connait. Mais la Grande muraille verte. Vous en avez entendu parler ? C’est ainsi qu’a été baptisé un projet lancé en 2007. L’idée : planter des millions d’arbres d’ici 2030 dans la zone semi-aride du nord du Sahel, sur une bande de terre de 8.000 kilomètres de long. Avec pour objectif le verdissement de la région et la restauration des terres pour empêcher le Sahara de s’étendre vers le sud. Pour l’heure, le projet n’est achevé qu’à environ 15 %. Mais 20 milliards de dollars ont récemment été promis au niveau international pour le faire progresser.

Stocker du carbone, restaurer la biodiversité et apporter des avantages socioéconomiques aux populations de cette partie de l’Afrique sont parmi les effets collatéraux positifs attendus de cette Grande muraille verte. Mais comme tous les projets de géoingénierie climatique, il pourrait aussi avoir quelques effets négatifs, dans la région ou au-delà. Des impacts négatifs possibles qui n’ont, pour l’heure, pas suffisamment été étudiés, estiment des chercheurs de l’université du Québec (Canada).

Le saviez-vous ?

L’idée de Grande muraille verte en Afrique a germé dès les années 1970, lorsque le Sahel a commencé à devenir aride. À la même époque, la Chine s’engageait dans un projet semblable visant à bloquer le développement vers le sud du désert de Gobi. Et dans les années 1930 déjà, Franklin Roosevelt, alors président des États-Unis, avait envisagé un projet de murs d’arbres pour les grandes plaines du Texas.

Ils ont, pour remédier à cela, travaillé sur des simulations informatiques à haute résolution. Celles-ci suggèrent que les effets de la Grande muraille verte sur le climat local, régional et mondial pourraient être plus profonds que ceux qui avaient été envisagés jusqu’alors. Ainsi dans un contexte de réchauffement climatique anthropique fort, les travaux des chercheurs montrent une réduction plutôt bienvenue de 1,5 °C des températures estivales moyennes dans la majeure partie du Sahel. Mais les régions déjà les plus chaudes devraient le devenir encore plus. Avec des températures moyennes augmentant, elles, de 1,5 °C.

Un climat perturbé à grande échelle

Les précipitations seraient elles aussi amenées à augmenter fortement. Voire à doubler sur certaines zones. En cause, une intensification et un étalement de la mousson ouest-africaine. Rappelons que jusqu’alors, les scientifiques voyaient dans les cycles orbitaux de notre Terre, la principale cause de variation de cette mousson. Avec pour conséquence, par exemple, il y a quelques millénaires, durant une période située entre il y a 11.000 et 5.000 ans, un Sahara bien plus vert qu’aujourd’hui. Mais les chercheurs de l’université du Québec montrent finalement que la couverture végétale de la région joue, elle aussi, un rôle majeur.

Leurs simulations suggèrent en effet qu’avec plus de végétation dans la région, il se créera un bassin d’humidité. Car les cycles de l’eau vont aller en augmentant. Et les précipitations vont se multiplier. Par ailleurs, la présence de plante a tendance à obscurcir la surface — par rapport aux sables du désert — et à réduire la quantité de poussières présentent dans l’atmosphère. Le tout permettant à plus de chaleur d’atteindre la surface et d’y être absorbée. Résultat : une terre plus chaude et plus humide par rapport à l’océan voisin et donc, une différence de pression atmosphérique accrue et des vents de mousson plus forts et plus intenses.

Une mousson ouest-africaine plus forte pourrait déplacer certains schémas de circulation atmosphérique importants vers l’ouest. Et influencer par exemple les phénomènes El Niño. Ou encore, modifier les trajectoires des cyclones tropicaux. Pour en avoir le cœur net, les chercheurs devront travailler à mieux comprendre ce qui a conduit à des évolutions du Sahara dans le passé. Ils devront aussi tester leurs simulations sur des scénarios d’émissions plus modérées ou même faibles. Qui, espérons-le, devraient mieux correspondre à notre futur…

Nathalie Mayer, Journaliste

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