Rapport du GIEC : l’Afrique a besoin de plus de financement

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Au-delà de pointer le déficit de financement, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met en évidence l’immense potentiel des énergies renouvelables dont l’Afrique regorge.

Par Tony Karumba

Les promesses « creuses » entraînent la planète vers un réchauffement désastreux de 3 °C mais le monde a encore une chance d’éviter le pire : transformer radicalement l’économie et faire plafonner les émissions d’ici moins de trois ans, en commençant par se désintoxiquer des énergies fossiles. Le troisième volet de la trilogie scientifique des experts climat de l’ONU (GIEC) publié lundi 4 avril ne laisse pas de place au doute : « C’est maintenant ou jamais », résume Jim Skea, coprésident du groupe ayant produit cet opus de près de 3 000 pages. Et des promesses, le continent africain en a reçu. En 2009, les pays du Nord avaient promis de porter à partir de 2020 leur aide climat aux pays du Sud à 100 milliards de dollars par an. Mais la promesse n’est toujours pas tenue.

Et pourtant, l’Afrique est bien le continent qui souffre le plus du réchauffement climatique : vague de chaleur, sécheresse, inondations, ou invasion de criquets pèlerins. Ces phénomènes vont sans aucun doute s’aggraver au cours de la prochaine décennie, selon le rapport du GIEC. Dans ce contexte une question émerge : comment l’Afrique peut-elle limiter ses émissions de gaz à effet de serre sans hypothéquer son développement ?

Défi environnemental

Le GIEC propose plusieurs pistes d’action, car l’heure est déjà grave. L’organisation prédit que les hommes et les espèces ne pourront pas faire face à la hausse des températures dans certaines régions d’Afrique et que même les plus importants glaciers du continent, comme le mont Kilimandjaro, pourraient disparaître dans les prochaines décennies.

Les exemples ne manquent pas. Au pied du monumental rucher d’Inzerki, dans le sud-ouest du Maroc, le silence a remplacé le bourdonnement des abeilles dans ce qui est le cœur de la réserve de biosphère de l’arganeraie, l’une des plus riches du pays. Ce silence est synonyme d’un désastre écologique précipité par la disparition des colonies. Un phénomène observé à l’échelle nationale provoqué par une sécheresse hors norme et le changement climatique, selon des experts. Le pays comptait 910 000 ruches exploitées par 36 000 apiculteurs recensés en 2019 contre un peu moins de 570 000 en 2009, selon les statistiques officielles.

Et de façon inédite, les experts du GIEC ont fini par démontrer que les villes africaines, souvent pointées du doigt, ne sont pas responsables de l’augmentation des émissions. « Ce sont plutôt les modes de vie qui accélèrent la crise. » Pour inverser cette tendance, les États doivent veiller à la façon dont ils s’industrialisent.

La fin des énergies fossiles pour l’Afrique aussi ?

Mais pour vraiment respecter + 1,5 °C, l’usage du charbon sans capture de carbone (une technologie non mature à grande échelle) devrait être totalement stoppé et ceux du pétrole et du gaz réduits de 60 % et 70 %, respectivement, d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 2019. Un scénario qui prend une lumière particulière avec la guerre en Ukraine qui expose la dépendance des économies aux énergies fossiles, dénoncée de longue date par les défenseurs du climat.

Pour l’Afrique, c’est un saut dans l’inconnu, car le continent est le plus sobre en la matière, mais aussi celui dont les besoins sont les plus importants. Les pays africains producteurs de gaz et de pétrole, ainsi que ceux où de récentes découvertes de ces énergies fossiles suscitent des espoirs de développement, n’entendent pas pour l’instant y renoncer en dépit, également, des recommandations de la dernière conférence climat de Glasgow en Écosse, la COP26.

Mais pour les experts du GIEC, ce discours en faveur du développement grâce aux énergies fossiles se heurte à la réalité d’une redistribution injuste des revenus du gaz et du pétrole constatée dans les pays producteurs. En Angola, le pétrole représente la moitié du produit intérieur brut (PIB) et 89 % des exportations, mais plus de la moitié des quelque 34 millions d’habitants vivent avec moins de deux dollars par jour et le taux de chômage est de 31 %.

Pallier les carences de l’exploitation pétrolière en assurant une transition vers les énergies propres reste néanmoins un objectif possible, à condition que les pays du Nord qui polluent le plus tiennent leurs promesses. Avec un accès aux marchés financiers appropriés, les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne d’ici à 2030, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena).

Le rapport indique que des financements et des données limités représentent les principaux obstacles pour les pays africains qui cherchent à s’adapter à la crise climatique. Depuis 1990, moins de 4 % du financement total de la recherche mondiale sur le changement climatique s’est concentré sur l’Afrique, tandis que 78 % de ce financement est allé à des chercheurs aux États-Unis et en Europe. De plus, les scientifiques africains ont reçu moins de 15 % des fonds.

Investir dans le potentiel des énergies renouvelables

Et pourtant, pour les experts du GIEC, l’Afrique peut se développer tout en limitant ses émissions. Pour la première fois, les experts font le lien dans leurs travaux, entre l’atténuation du changement climatique et les objectifs de développement durable. Des parcs éoliens sur le littoral africain aux projets géothermiques dans la vallée du Rift en Afrique de l’Est : au GIEC de mettre en évidence le vaste potentiel d’énergie propre du continent, où le secteur est déjà en plein essor. S’ils sont réalisés, « ces projets durables pourraient atténuer les effets les plus sévères du réchauffement climatique, alimenter le développement économique prévu du continent et sortir des millions de personnes de la pauvreté ». Cette transformation devrait même « devenir économiquement attrayante dans certaines circonstances », selon le rapport du GIEC. L’ONU estime que l’adoption par l’Afrique des énergies renouvelables entraînera la création de plus de 12 millions d’emplois. Pour l’instant, la Chine fait figure de tête de pont parmi les investisseurs dans les énergies renouvelables sur le continent, suivie de la Banque africaine de développement, de la Banque mondiale et du Fonds vert pour le climat.

Tony Karumba, Journaliste(Le Point Afrique)

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