L’agriculture mondiale se trouve aujourd’hui à un carrefour historique. Face à une géopolitique instable, marquée par des conflits, des tensions économiques et des bouleversements climatiques, les enjeux alimentaires et agricoles n’ont jamais été aussi cruciaux. La question primordiale qui se pose est : comment nourrir une population mondiale en constante augmentation, dans un monde de plus en plus marqué par l’incertitude géopolitique ?
Cet article explore cette problématique, avec un éclairage particulier sur les défis et les solutions proposées par les experts du secteur, dont Sébastien Abis, directeur général du Club Demeter, une organisation qui réunit entreprises et experts du secteur agricole et agroalimentaire. La Revue annuelle Demeter, qui fait le point chaque année sur les défis agricoles et agroalimentaires, nous offre des pistes de réflexion intéressantes.
Une géopolitique complexe qui impacte l’agriculture
La géopolitique actuelle influe directement sur les chaînes d’approvisionnement alimentaires et agricoles. L’instabilité politique, les sanctions économiques, et les tensions commerciales entre grandes puissances rendent la production et le commerce des produits agricoles de plus en plus vulnérables. Des pays producteurs essentiels comme la Russie, l’Ukraine, ou encore certains états du Moyen-Orient connaissent des crises qui perturbent la stabilité des marchés mondiaux.
Les répercussions sont multiples. Par exemple, la guerre en Ukraine a gravement perturbé les exportations de blé, de maïs et d’huile de tournesol, augmentant ainsi les prix mondiaux de ces produits de première nécessité. De plus, les sanctions imposées à certains pays producteurs entraînent une baisse de la production et une rupture des chaînes d’approvisionnement mondiales.
En parallèle, l’agriculture est de plus en plus confrontée à des enjeux environnementaux liés au changement climatique, qui compliquent encore plus la situation. Des événements climatiques extrêmes, tels que des sécheresses prolongées, des vagues de chaleur et des inondations, affectent les rendements agricoles dans de nombreuses régions du monde, exacerbant les défis géopolitiques.
Sébastien Abis : vers une agriculture résiliente
Sébastien Abis, directeur général du Club Demeter, estime que les entreprises et les experts du secteur doivent repenser les modèles de production agricole face à cette nouvelle réalité géopolitique. Selon lui, l’agriculture mondiale doit se réorienter vers une plus grande résilience face aux crises politiques et économiques. Cela passe par plusieurs axes majeurs :
. diversification des chaînes d’approvisionnement : pour éviter les dépendances excessives à certains pays producteurs, il devient crucial d’encourager la diversification des sources d’approvisionnement en matières premières agricoles. En cas de crise géopolitique dans une région, cela permettrait de maintenir une certaine stabilité des prix et d’éviter des pénuries alimentaires.
. nnovation technologique et durabilité : l’agriculture doit intégrer davantage les technologies avancées pour améliorer ses rendements tout en réduisant son empreinte écologique. L’agriculture de précision, les technologies de l’IA et les systèmes automatisés permettent d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles et d’adapter la production aux aléas climatiques.
. soutien aux pays en développement : beaucoup de pays en développement sont les premières victimes des crises géopolitiques et climatiques. Sébastien Abis souligne l’importance de soutenir ces régions pour qu’elles puissent renforcer leur sécurité alimentaire et agricole. Cela passe par l’aide au développement, mais aussi par la formation d’agriculteurs locaux aux nouvelles pratiques agricoles résilientes.
. transparence et gestion des risques : la géopolitique a également mis en évidence l’importance de mieux gérer les risques dans l’agriculture. Cela inclut une meilleure gestion des crises, une plus grande transparence dans les échanges internationaux, et une coopération plus forte entre les pays pour garantir un approvisionnement alimentaire équitable.
Les enjeux alimentaires : une question de sécurité mondiale
La question de la sécurité alimentaire devient une préoccupation majeure dans ce contexte géopolitique volatile. La production agricole mondiale est non seulement dépendante des conditions climatiques et économiques, mais elle est aussi fortement influencée par la stabilité politique de chaque région. Si un pays clé dans la production d’un produit essentiel se trouve en guerre ou en crise politique, les conséquences sont immédiates pour le reste du monde.
Les grandes puissances agricoles comme les États-Unis, le Brésil, l’Inde et la Chine, tout en étant des acteurs majeurs, ne peuvent à elles seules assurer l’équilibre des marchés mondiaux. Un système alimentaire global trop centralisé ou fragile face aux tensions internationales devient un danger pour la sécurité alimentaire de nombreux pays. Le renforcement des systèmes alimentaires locaux et régionaux devient ainsi un axe essentiel pour répondre aux défis futurs.
Repenser la géopolitique de l’agriculture
Les enjeux géopolitiques, économiques et climatiques remodèlent profondément le paysage agricole mondial. Nourrir la population mondiale dans ce contexte exige une transformation radicale de l’agriculture, favorisant la résilience, l’innovation, la coopération internationale et le soutien aux zones les plus vulnérables.
Pour Sébastien Abis et le Club Demeter, il est impératif de repenser les stratégies agricoles pour assurer une production alimentaire durable et accessible à tous. Le secteur doit s’adapter à cette nouvelle donne géopolitique pour garantir une sécurité alimentaire mondiale face à l’incertitude. Dans cette dynamique, la collaboration entre entreprises, experts et gouvernements sera plus que jamais essentielle pour faire face à un avenir incertain.
Les réflexions et solutions proposées dans la Revue annuelle Demeter sont donc cruciales pour imaginer une agriculture de demain qui soit capable de résister aux tensions géopolitiques et aux crises mondiales tout en répondant aux besoins alimentaires des populations.
Moctar FICOU / VivAfrik