Le Maroc traverse une crise de l’élevage sans précédent qui met à mal son secteur agricole, en particulier l’élevage ovin et bovin, deux piliers essentiels de la production de viande. Selon les chiffres officiels, le pays a perdu plus d’un tiers de son cheptel national au cours des neuf dernières années. Cette situation critique est le résultat direct du stress hydrique, la nation étant entrée dans sa septième année consécutive de sécheresse. En parallèle, la réduction des surfaces de pâturages, combinée à la flambée des prix des aliments pour bétail, accentue la pression sur les éleveurs, déjà fragilisés par des conditions climatiques de plus en plus difficiles.
La chute du cheptel marocain : 38% de pertes en neuf ans
Les chiffres sont alarmants. En 2016, le cheptel national comptait environ 20 millions d’animaux. Aujourd’hui, selon le ministre de l’Agriculture, Ahmed El Bouari, ce nombre a diminué de 38%, une baisse drastique qui touche particulièrement les zones rurales. Le manque de pâturages a forcé de nombreux éleveurs à réduire leur production, et ceux qui parviennent encore à maintenir leur élevage sont contraints d’acheter des aliments pour bétail coûteux, ce qui pèse lourdement sur leurs finances.
Les causes de cette crise sont multiples et interconnectées. La principale explication réside dans le manque d’eau, une situation exacerbée par la sécheresse prolongée qui touche le pays. Le manque de pluies entraîne la dégradation des pâturages, privant les animaux de nourriture et d’eau suffisantes pour se développer. Cette pression climatique, combinée à la hausse des coûts des aliments pour animaux, notamment le fourrage et les céréales, a fragilisé un secteur déjà vulnérable.
La montée des prix de la viande : un impact direct sur les consommateurs
Les conséquences de cette crise sont immédiates pour les consommateurs. Les prix de la viande ont fortement augmenté ces derniers mois, en raison de la baisse de l’offre d’animaux destinés à l’abattage. Selon les éleveurs, la situation est d’autant plus préoccupante à l’approche de l’Aïd, une fête musulmane où le sacrifice de l’animal est une tradition profondément ancrée dans la culture marocaine.
Les prix de la viande ont explosé, ce qui met en difficulté les familles marocaines, déjà affectées par les pressions économiques. Le gouvernement marocain a évoqué la possibilité de fournir des subventions pour réduire les coûts pour les consommateurs, mais cette mesure reste insuffisante face à l’ampleur du problème. La crainte grandit alors que le pays pourrait se retrouver dans une situation inédite : l’annulation du sacrifice de l’Aïd.
Une politique agricole inadaptée et une crise structurelle
Pour comprendre l’origine de cette crise, l’agro-économiste Larbi Zagdouni souligne plusieurs facteurs. D’après lui, le système d’élevage marocain a été fragilisé au fil des années par des politiques agricoles mal adaptées. La situation s’est aggravée avec l’introduction, en 2008, d’un programme visant à économiser l’eau, qui a conduit à une extension massive des superficies irriguées. Mais, paradoxalement, cette politique s’est déployée à un moment où les ressources en eau, issues des précipitations, se faisaient de plus en plus rares, créant ainsi un déséquilibre dans le modèle agricole du pays.
« On a fragilisé encore davantage notre système d’élevage par la réduction de sa base essentielle », affirme Larbi Zagdouni. Il plaide pour une remise en question profonde de l’ensemble du modèle agricole marocain, qui repose trop largement sur l’irrigation et les monocultures, au détriment de la durabilité de l’élevage et de la biodiversité.
Le programme de soutien du ministère de l’Agriculture : des mesures insuffisantes
Face à cette crise, le ministère de l’Agriculture a annoncé un programme global de soutien au secteur de la production animale, incluant des aides financières et des mesures pour encourager la relance du secteur. Cependant, les experts restent sceptiques quant à l’efficacité de ces initiatives, soulignant que le problème est bien plus profond et nécessite une révision complète des politiques agricoles et hydrauliques du pays.
Le ministre de l’Agriculture, Ahmed El Bouari, a reconnu la gravité de la situation, mais n’a pas encore pris de décision quant à la possibilité d’annuler le sacrifice de l’Aïd, une mesure radicale qui n’a été prise que deux fois dans l’histoire du Maroc, et qui enverrait un signal fort sur la gravité de la crise.
Un secteur en crise qui nécessite une réforme structurelle
La crise de l’élevage au Maroc met en lumière la fragilité d’un secteur clé de l’économie nationale, confronté à des défis environnementaux et économiques de plus en plus intenses. La baisse du cheptel, la flambée des prix de la viande et les menaces qui pèsent sur la tradition du sacrifice de l’Aïd révèlent les conséquences dramatiques d’une gestion inefficace des ressources naturelles et d’un modèle agricole inadapté. Si des mesures d’urgence sont nécessaires pour soutenir les éleveurs, une réforme structurelle et une transition vers des pratiques agricoles durables sont impératives pour préserver la résilience du secteur face aux défis futurs.
Moctar FICOU / VivAfrik