Par Lily Odarno
Le rapport sur le bilan mondial de la CCNUCC, récemment publié, constate à quel point nous sommes en retard sur les objectifs de l’Accord de Paris. Les émissions mondiales n’ont cessé d’augmenter depuis la première conférence des parties qui s’est tenue à Berlin en 1995. Aujourd’hui, comme c’était le cas lors de la première COP, 80 % de l’énergie que nous consommons provient encore des combustibles fossiles, et nous n’avons pas réussi à mobiliser suffisamment de capitaux pour financer l’action climatique dans le monde entier.
Le rapport sur le bilan mondial devrait servir d’appel à la communauté climatique lors de la COP28 à Dubaï pour qu’elle prenne conscience de l’importance de l’action climatique. C’est d’autant plus important pour le continent africain. À bien des égards, les nations africaines suivent un chemin que d’autres pays n’ont jamais emprunté. Alors que la plupart des régions du monde développé se sont tournées vers le climat après avoir atteint des niveaux de développement significatifs, l’Afrique réagit au climat tout en essayant simultanément de sortir des millions de personnes de la pauvreté et de construire le système énergétique de la région. Cet exercice d’équilibre exige un grand pragmatisme et une pleine conscience des opportunités et des compromis entre l’énergie, le développement et l’action climatique en Afrique.
Alors que nous nous dirigeons vers la COP28, voici trois éléments à garder à l’esprit si nous voulons prendre au sérieux l’action climatique en Afrique.
Prendre conscience de l’ampleur du défi que représente l’infrastructure
Au début de l’année, une panne d’électricité nationale a plongé plus de 50 millions de Kényans dans l’obscurité totale. La compagnie nationale d’électricité a attribué cette panne à un déséquilibre du système déclenché par la perte d’énergie du parc éolien du lac Turkana, le plus grand parc éolien d’Afrique. La direction du projet a également attribué la panne à une surtension dans le réseau, qui a mis le parc éolien hors service.
Peu de temps après cet incident, le Nigéria, la plus grande économie d’Afrique, a également connu un effondrement total du réseau, qui a eu des répercussions importantes sur les entreprises et les ménages. Il s’agissait du deuxième effondrement du réseau dans le pays en 2023 ; le Nigeria a connu quatre incidents de ce type en 2022.
Bien qu’il soit habituel que des crises de ce type déclenchent des jeux de responsabilité entre les agences locales d’électricité, les pannes survenues au Kenya et au Nigéria ont mis en évidence les limites qu’une infrastructure inadéquate et faible peut imposer à l’accès à l’énergie et aux objectifs climatiques en Afrique, quelles que soient les bonnes intentions et l’ambition de ces efforts.
La déclaration de Nairobi, adoptée lors du sommet africain sur le climat en septembre, présente un projet visant à faire passer la capacité de production d’énergie renouvelable de l’Afrique de 56 GW en 2022 à 300 GW en 2030. Si cette ambition est louable, elle sera en réalité difficile à réaliser compte tenu de l’état actuel de l’infrastructure du réseau électrique africain. Une étude de l’IRENA sur la transition vers les énergies renouvelables en Afrique identifie la prévalence d’une infrastructure de réseau faible et inadéquate comme un obstacle majeur à l’expansion des énergies renouvelables variables dans la région. Des investissements importants sont nécessaires pour moderniser et construire des réseaux flexibles et faciliter l’intégration et le bon fonctionnement des marchés régionaux de l’électricité afin d’assurer un avenir énergétique propre en Afrique. Sans infrastructures énergétiques fiables en Afrique, il n’y a que peu d’espoir pour une révolution des énergies propres.
L’argent, c’est du concret
L’accroissement de la dette limite la capacité des gouvernements africains à investir dans le développement et l’action climatique. L’Afrique doit mobiliser plus de 200 milliards de dollars par an pour sa réponse climatique d’ici à 2030. Le continent est également confronté à un déficit de financement de 1 200 milliards de dollars pour ses objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030. Plusieurs pays africains sont au bord de la crise de la dette. En 2022, plus de la moitié des pays à faible revenu d’Afrique subsaharienne ont été classés par le FMI comme étant en situation de surendettement ou risquant de l’être. Le ratio entre le remboursement des intérêts et les recettes de la région aurait doublé depuis 2010 et serait actuellement quatre fois supérieur à celui des pays développés.
À l’approche de la COP28, les appels se multiplieront pour que les pays développés honorent les promesses qu’ils ont faites aux pays en développement en matière de climat et mettent en place un fonds pour les pertes et dommages afin d’atténuer certains des défis financiers. Quels que soient les résultats de ces négociations financières, il est évident que l’ampleur des besoins financiers de l’Afrique dépasse de loin les promesses faites par le passé, dont une grande partie n’a d’ailleurs pas été honorée. Les pays africains doivent adopter une nouvelle stratégie qui leur permettra d’accéder plus facilement aux capitaux nécessaires à la lutte contre le changement climatique dans la région. Cela ne peut se faire sans une restructuration fondamentale de l’architecture financière mondiale actuelle qui, dans sa forme actuelle, applique des règles inégales qui désavantagent les économies africaines et aggravent les crises de la dette dans la région.
La réalité du développement
La crise climatique est en partie une crise du développement. On estime que les pays africains perdent entre 7 et 15 milliards de dollars par an à cause des effets du changement climatique. De même, les économies africaines, dont les budgets sont limités et les dettes croissantes, sont moins à même d’investir dans l’action climatique.
La réalisation des ODD pourrait potentiellement débloquer un marché estimé à 12 000 milliards de dollars et créer environ 380 millions d’emplois d’ici à 2030. L’Afrique a besoin d’une stratégie climatique qui aille de pair avec une stratégie de développement claire et qui s’appuie sur les nouvelles opportunités commerciales offertes par l’Accord de libre-échange continental africain, le marché croissant des minerais essentiels et la jeune main-d’œuvre africaine. L’accélération de la croissance économique et la création de richesses nationales peuvent permettre à l’Afrique de mieux se positionner pour atteindre les objectifs d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.
Il se peut que nous ayons raté le coche de l’action climatique mondiale par le passé, en ne tenant pas compte de la manière dont les efforts de réduction des émissions doivent s’inscrire dans les réalités d’impératifs tels que le développement régional, l’accès à l’énergie, la sécurité énergétique et la réduction de la pauvreté. En Afrique, nous avons encore la possibilité de placer au centre du débat les problèmes systémiques qui ont bloqué les progrès en matière de climat – le sous-développement, les infrastructures inadéquates et le manque d’accès aux capitaux. La COP28 constitue une plateforme importante pour changer de cap, et nous y serons aux côtés des dirigeants du monde entier pour faire pression en ce sens.
Lily Odarno est directrice du programme d’innovation énergétique et climatique pour l’Afrique de Clean air task force (CATF).