Le monde se penche sur la pollution plastique à Ottawa : ces négociations, capitales, aboutiront-elles à un traité contraignant ?

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Des microplastiques dans notre eau de bouteille. Et donc dans notre corps. C’est l’une des dernières alertes qui a retenti dans les médias. Le plastique est nocif pour notre planète et pour notre santé. On le sait, et pourtant sa production continue à augmenter. 174 pays négocient en ce moment à Ottawa (Canada) pour mettre le holà, via un traité international contraignant visant à réduire la pollution plastique. En principe, du moins.

Le processus de négociation a été officiellement lancé en 2022, à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement. C’est déjà le quatrième round de négociations, les précédents ont eu lieu à Nairobi, en France et au Kenya. Le prochain sera le dernier, il faudra aboutir. Le timing est serré. Ce sera en décembre 2024 en Corée du Sud.

Joëlle Guérin, experte en système de consommation chez Greenpeace Suisse, est à Ottawa pour suivre les discussions. Dans une interview accordée à nos confrères du site d’information rtbf.be, elle nous éclaire sur les enjeux de ce sommet, de son point de vue d’activiste.

De quoi discute-t-on précisément ? Quels types de mesures pourraient être inclus dans ce traité ?

Ce traité est censé porter sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques (Ndlr : extraction de pétrole ou de gaz pour la production de plastique, fabrication des produits en plastique, utilisation des produits, réutilisation, recyclage et gestion des déchets).

La question c’est de savoir si on va agir en amont, si on va se donner un objectif en termes de réduction de la production des plastiques primaires (Ndlr : le plastique produit directement à partir de matières premières, comme le pétrole brut ou le gaz naturel). Pour nous, c’est primordial si on veut avoir un véritable impact.

Pour le moment, la production de plastique continue à augmenter ?

Oui, la production est en augmentation constante. Si on en croit les pronostics de l’industrie, il y aura un triplement de la production d’ici 2050. Nous plaidons pour une réduction d’au moins 75% d’ici à 2040 pour ne pas dépasser la barre des 1,5 °C de réchauffement climatique, pour préserver notre santé, nos droits et nos communautés.

Mis à part la réduction de la production, d’autres mesures, à d’autres stades du cycle de vie, sont aussi susceptibles d’être discutées. Quelles sont-elles ?

Il y a par exemple la transparence sur les produits utilisés dans les plastiques, avec notamment les produits chimiques dangereux. On pourrait fixer une liste de critères pour déterminer quels produits chimiques devraient être interdits. Des produits comme les phtalates, les PFAS, le bisphénol A, etc. Sur les enjeux de santé comme ceux-là, il y a plus de chance qu’un compromis soit trouvé.

On pourrait aussi se donner des objectifs de réduction de la quantité de plastiques utilisés, de mise en place de système de réutilisation, pour passer d’une société du tout jetable vers une société de la réutilisation.

Il faudrait également une liste de critères pour définir les produits problématiques à éliminer. Je pense aux plastiques à usage unique, à commencer par les articles les plus polluants tels que les sachets, ces petits emballages pour des doses uniques de produit, qui sont beaucoup vendus dans les pays du Sud, en Asie ou en Afrique.

Les solutions de recyclage sont aussi, on l’imagine, sur la table ?

Oui, le recyclage est souvent préconisé par l’industrie, mais pour nous, c’est une fausse bonne idée, qui perpétue la société du tout jetable. Il est estimé que seuls 9% du plastique produit depuis les années 50 ont été recyclés dans le monde. La production de plastique, je l’ai dit, pourrait tripler d’ici à 2050, il ne suffit pas de recycler un peu plus pour stopper la pollution.

Où en est-on concrètement dans les discussions ?

Au Kenya, ça n’a pas bien avancé du tout. Une minorité de pays a réussi à faire dérailler les négociations. Ils ont fait traîner les choses, avec des batailles de procédure. Résultat, ils travaillent maintenant sur ce qu’ils appellent un « zero draft », un avant-projet révisé, qui est énorme, complexe qui contient toutes les options possibles, des meilleures aux pires.

Maintenant il va falloir nettoyer, simplifier et trouver des terrains d’entente. Et il faudra, sur base des travaux de cette semaine, rédiger enfin un premier projet.

Parmi les participants, qui sont les pays qui bloquent, et ceux qui veulent avancer ?

Il y a plusieurs groupes de pays qui se dégagent depuis les dernières sessions. D’un côté, vous avez une “Coalition de la haute ambition”, qui compte une soixantaine de pays, et inclut l’Union européenne, donc la Belgique bien sûr, mais aussi la Suisse, le Canada, la Norvège, le Rwanda ou le Pérou. Ce groupe-là est en faveur de mesures visant à limiter la production et/ou l’utilisation de certains plastiques problématiques, et à supprimer les produits toxiques présents dans les plastiques.

D’un autre côté, vous avez les pays producteurs de pétrole, comme l’Arabie saoudite, l’Iran, Bahreïn, la Chine ou la Russie, qui veulent absolument maintenir le statu quo, qui préconisent de fausses solutions comme le recyclage chimique. Ils ont intérêt à ce qu’on continue à extraire le pétrole pour produire autant de plastique que possible.

Et enfin, vous avez les Etats-Unis qui se concentrent plutôt sur la fin du cycle de vie du plastique. Pour eux, le recyclage est très important. Ils ignorent les impacts qui se trouvent en amont de la production, c’est-à-dire que 99 pourcents des plastiques sont fabriqués à partir des combustibles fossiles et que l’augmentation effrénée de leur production est un vecteur important du réchauffement climatique. Ils font pression pour que le traité soit plutôt axé sur des plans d’action nationaux qui seraient volontaires.

En quoi est-ce qu’il est, selon vous, vital d’aboutir à un accord ?

C’est un élément clé parce que cette crise du plastique, elle est multiple. Elle met en danger la biodiversité (on pense à l’environnement marin, mais ce n’est pas le seul), elle met en danger le climat, elle met en danger notre santé.

Les microplastiques sont dans l’air que nous respirons et sont dans les aliments que nous mangeons. Ils ont été détectés dans le sang humain, dans le lait maternel. Désormais, on sait qu’ils sont aussi dans les tissus des poumons, dans le cœur. Chaque fois, la liste s’allonge.

(rtbf.be).

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