Climat : Avant la COP28, une coopération encore trop timide des États africains

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Par Salif Dabou Cheickna

A quelques semaines de la COP28, le Congo-Brazzaville a organisé la troisième édition du Sommet des trois bassins des écosystèmes de biodiversité et des forêts tropicales, qui s’est déroulée du 26 au 28 octobre 2023 à Kintelé. Une rencontre internationale tripartite (Afrique, Amériques, Asie) qui a réuni une dizaine de chefs d’Etats, pour réaffirmer leurs engagements à lutter contre le réchauffement climatique. Mais une fois encore, la volonté politique globale de l’Afrique reste timide sur cette question pourtant cruciale.

Alors que la COP28 se déroulera du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï, l’engagement des pays d’Afrique à coopérer pour agir fermement contre le réchauffement climatique reste frileux. Preuve en est, la troisième édition du Sommet des trois bassins n’a que peu attiré au plus haut niveau des pays africains. Seuls six chefs d’États du continent (Kenya, Togo, Guinée-Bissau, Comores, Rwanda, Gabon) étaient présents. Les représentants d’Amérique du Sud et d’Asie ont eux aussi brillé par leur absence, mettant à mal les projets de coopération sud-sud en matière de protection de la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Forêt du bassin du Congo. cbfp.org

Une nouvelle fois, à l’issue de cette rencontre, l’efficacité des discussions en faveur de politiques environnementales est entravée par le manque de volonté politique. Rien de nouveau cependant. En effet, si la première édition du Sommet des trois Bassins, en 2011, avait abouti à une déclaration commune des États de s’engager ensemble pour la lutte contre la déforestation et la solidarité lors de négociations internationales sur le climat, celle-ci est restée vaine. Aucune structure n’a été mise en place depuis lors pour rendre ce projet concret.

Balbutiements autour d’une stratégie commune

Pour Fabio Ferrari, CEO d’aDryada, société qui développe, opère et finance des projets de restauration de la biodiversité et des forêts en partenariat avec des Etats dans le monde entier, l’Afrique est à la croisée des chemins. « Même si les pays du continent ne sont pas responsables de la plupart des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, ce sont eux qui vont en subir les plus lourdes conséquences en termes de biodiversité et de perte des moyens de subsistance des populations… sans avoir forcément les moyens de lutter contre les effets du réchauffement climatique, en restaurant et en protégeant les forêts notamment », note l’expert. Selon ce dernier, leur premier défi est donc de réussir à mettre en place un cadre règlementaire et fiscal qui rassure les investisseurs privés internationaux et attirent ainsi leurs capitaux sur ce type de projets. Ce qui, selon Fabio Ferrari, n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. « La réalité est tout autre, car il est plus simple et « classique » de faire appel aux fonds publics et à la dette. Si la restauration des forêts était considérée comme un projet autoroutier financé par du privé – mais sans péage pour la population ! – le défi serait en passe d’être relevé. Certains pays avancent dans cette direction, comme le Nigéria, le Ghana, la Tanzanie, et la Côte d’Ivoire. Une collaboration à l’échelle du continent pour définir les règles d’un partenariat public-privé efficace et équitable en matière de reforestation sera-t-il une prochaine étape ? Ce serait une belle victoire, pour les pays du continent, mais aussi pour le climat, la biodiversité et les communautés locales », explique-t-il.

En effet, l’Afrique en est encore au stade de balbutiement en termes de d’engagement commun pour la lutte contre le réchauffement climatique. Ce Sommet des trois bassins s’est ainsi conclu sur une déclaration commune peu ambitieuse, dans la lignée de la première édition de 2011. La déclaration vise ainsi à « Relancer l’objectif du 1er Sommet des trois bassins de 2011 visant à proposer une feuille de route pour une progression graduelle et plus ambitieuse de la collaboration entre les pays des trois bassins ». Une dynamique qui devrait se construire autour de la mutualisation des connaissances et expertises notamment et une meilleure inclusion des populations dans cette lutte contre le réchauffement climatique. Mais rien n’a été proposé pour la mise en place d’une stratégie commune

La Côte d’Ivoire, qui était représentée par la présidente du Sénat Kandia Camara à ce Sommet commun, tente de son côté de montrer l’exemple en Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire innove en posant les bases d’une réelle collaboration avec les investisseurs internationaux pour restaurer son couvert forestier. Elle a ainsi créé plusieurs types de concessions (agro-forêts, puits de carbone etc.) dans le cadre de sa stratégie nationale de préservation et de restauration des forêts, afin que ces investisseurs aient à disposition plusieurs options. Le Comité National de Pilotage des Partenariats Public Privés est par ailleurs mis à contribution pour négocier avec certains de ces investisseurs et s’assurer que les contrats signés sont équitables, tant pour le pays que pour ces acteurs privés qui acceptent d’investir sur un marché nouveau. Cette stratégie est en ligne avec les engagements pris dans le cadre de la COP – la Contribution Déterminée au Niveau national prévoit en effet, grâce aux fonds privés, de reconvertir un million d’hectares de terres en forêts d’ici à 2030 !

« Conscient des pertes énormes engendrées par la disparition de son couvert forestier, mon pays a adopté un nouveau code forestier et une stratégie de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts avec pour objectif de recouvrer 20% du patrimoine forestier à l’horizon 2030, en promouvant entre autre l’agroforesterie et la sylviculture durable et lutter ainsi contre les changements climatiques à travers nos contributions déterminées au niveau national », a indiqué la présidente du Sénat ivoirien, Mme Kandia Camara

La présidente du Sénat ivoirien reçu le président Sassou Nguesso

La COP28, une diplomatie économique verte pour l’Afrique

Une certitude, si la coopération entre les pays africains est au point mort, rien n’est à attendre non plus du côté des pays du Nord, absents de cette conférence au Congo. La COP27 pour le Climat de Sharm El Sheikh s’était pourtant conclue par la reconnaissance des pertes et dommages dus au changement climatique pour les pays du Sud, sachant que cette responsabilité incombe aux pays développés. Mais côté Occident, les actes n’ont pour l’instant pas suivi.

En septembre dernier, lors du premier Sommet africain pour le climat, à Nairobi, les pays se sont réunis avec l’objectif de trouver des solutions pour financer la transition climatique en Afrique. En présence de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le sommet a finalement permis la mise en place d’une large taxation mondiale du carbone, comme source de financement nécessaire à la transition.

« Les COP et autres rencontres internationales sont importantes pour les pays africains, car elles leur permettent de s’engager dans une « diplomatie verte » afin de participer à la création du cadre mondial visant à collaborer pour le bien de la planète et des populations », explique Fabio Ferrari. Et il ajoute, « définir ensemble un cadre de partenariat public-privé pour les forêts, en s’inspirant des bonnes pratiques, pourrait être un sujet de collaboration à très fort impact ».

Reste à voir si la COP 28 permettra enfin une avancée historique ou ne sera qu’une nouvelle occasion de déclarations trop vite soufflées par d’autres enjeux considérés comme plus urgents.

Avec une correspondance particulière de BM.  

Salif Dabou CHEICKNA est journaliste à la rédaction de fratmat.info. Il a été lauréat du Prix AICA de la critique d’Art en 2014.

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