L’aquaponie pour améliorer la sécurité alimentaire en Afrique

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Par Myriam Larouche

Pour répondre aux besoins alimentaires de la population mondiale qui devrait atteindre les 10 milliards d’ici 2050, on estime que la production alimentaire mondiale devra augmenter d’environ 50 % par rapport à aujourd’hui. Les méthodes traditionnelles d’agriculture ne permettront pas de répondre à cette demande croissante, surtout en considérant les nombreux défis auxquels fait face la production alimentaire : les changements climatiques, la pollution et la dégradation des terres arables. Entre 1970 et 2013, 50 % des terres cultivables ont disparu et on estime que d’ici la fin du 21e siècle, les changements climatiques à eux seuls seront responsables de la perte d’un 18 % supplémentaire. À ce rythme, il est évident que des méthodes alternatives de production alimentaire sont nécessaires.

L’aquaponie, qui combine un Système d’aquaculture en recirculation (RAS) et un système hydroponique, fait partie des solutions alternatives de production alimentaire. Il s’agit d’une technologie révolutionnaire pour les pays aux prises avec des sécheresses et des sols non fertiles, notamment les pays d’Afrique. L’aquaponie pourrait également constituer une solution à l’insécurité alimentaire dans les pays en voie de développement. Aquaponics for Improved Food Security in Africa : A Review est une des rares études sur les systèmes aquaponiques en Afrique.

Cette étude de Obirikorang et al (2021), répertorie et cartographie les projets de culture aquaponique en Afrique Sub-Saharienne dans le but d’identifier la contribution que peuvent avoir ces projets sur l’enjeu de la sécurité alimentaire. En Égypte et en Afrique du Sud, un lien direct a été établi entre les projets aquaponiques et l’amélioration de la sécurité alimentaire en milieu urbain et rural. La technologie est prometteuse pour produire à la fois un poisson à haute qualité nutritionnelle et des légumes en utilisant moins d’eau, moins d’espace et moins d’énergie que l’agriculture traditionnelle. Les coûts d’investissement élevés sont présentement le principal frein à l’instauration de systèmes aquaponiques à plus grande échelle en Afrique.

D’ici à 2050, la population africaine devrait atteindre 2,4 milliards de personnes. Il est donc projeté que l’insécurité alimentaire en milieu urbain en Afrique empirera jusqu’à la création de « déserts alimentaires ». Améliorer la sécurité alimentaire en Afrique est donc un élément clé dans les objectifs de développement durable de l’ONU, et l’aquaponie pourrait y jouer un rôle.

L’aquaponie face aux enjeux de sécurité alimentaire

Le poisson, souvent considéré comme la « nourriture riche des gens pauvres », joue un rôle essentiel dans l’amélioration de la sécurité alimentaire et du statut nutritionnel en Afrique. Le poisson constitue un apport majeur en acides aminés qui sont souvent manquants dans les végétaux. Même en petite quantité, il peut améliorer la qualité nutritionnelle de la diète humaine. La consommation de poisson est donc encouragée pour contrer l’insécurité alimentaire, la dénutrition, la malnutrition. Comme l’aquaculture est restreinte par l’espace disponible limité, la rareté de l’eau et les impacts environnementaux qu’elle engendre, l’aquaponie s’impose comme solution à la demande croissante en poisson. L’aquaponie permet de reconnecter les habitants des communautés à faible revenu avec la production alimentaire et de les rendre plus autosuffisants. L’aquaponie est mieux adaptée aux climats arides et à la rareté de l’eau. Les impacts environnementaux sont moindres que l’aquaculture et que l’agriculture traditionnelle. En produisant localement les aliments, les produits peuvent se vendre à des prix moins élevés que lorsqu’ils sont importés.

Les systèmes aquaponiques en Afrique

L’aquaponie est présente dans plusieurs pays africains depuis plusieurs années, mais demeure moins répandue que l’agriculture traditionnelle et est plus souvent pratiquée à petite échelle. En Afrique, cette pratique est relativement nouvelle et peu de recherches existent sur le sujet. Parmi les 82 recherches répertoriées pour l’article de Obirikorang et al, la plupart étaient situées en Égypte (Afrique du Nord), en Afrique du Sud et au Kenya.

En Afrique du Nord, l’agriculture fait face à plusieurs défis, notamment la rareté de l’eau, l’insécurité alimentaire, les changements climatiques et la croissance démographique. En effet, la population actuelle de 80 millions d’habitants devrait croitre jusqu’à 97 millions d’habitants d’ici 2025 alors que l’approvisionnement en eau par habitant baissera de 40 %. L’aquaponie constitue donc une solution intéressante à l’enjeu de la rareté de l’eau en réduisant de plus de 90% son utilisation par rapport à l’agriculture traditionnelle. Selon l’étude, d’un point de vue économique et social, l’aquaponie comporte plus d’avantages que de désavantages. Toutefois, le manque d’expertise des habitants et les coûts importants d’investissement freinent l’implantation des infrastructures aquaponiques.

Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, les sols peu fertiles, la rareté de l’eau, l’urbanisation et la pauvreté sont les défis principaux du système alimentaire. Dans cette région, on voit l’aquaponie comme une façon intéressante de reconvertir les anciennes mines de charbon et de remplacer l’aquaculture en étang d’eau douce peu rentable à cause des conditions extérieures défavorables. Toutefois, pour assurer une production à longueur d’année, les systèmes aquaponiques devront se doter d’un contrôle sur le chauffage, un aspect qui augmente les coûts des installations. En Namibie, l’aquaponie permettrait de nourrir les 430 000 habitats qui sont sous le seuil de la malnutrition. Au Zimbabwe, il s’agirait d’une solution intéressante pour remplacer l’agriculture traditionnelle qui dépend des précipitations variables du pays. Puisque les pannes de courant sont fréquentes au Zimbabwe, un prototype d’alimentation du système aquaponique par un panneau solaire photovoltaïque est présentement testé.

En Afrique de l’Ouest et de l’Est, l’aquaponie se limite présentement à des projets de recherche. Au Nigeria, un projet pilote par le SANFU (Sustainable Aquaponics for Nutritional and Food Security in Urban Sub-Saharian Africa) rassemble les données d’un projet à petite échelle pour l’amener vers un niveau productif et économiquement viable. Au Ghana, une étude cherche à augmenter la production alimentaire de petits agriculteurs pour assurer une production à l’année et leur permettre une meilleure alimentation. Au Kenya, des projets expérimentaux ont pour but d’augmenter la résilience du pays face aux changements climatiques et d’améliorer la sécurité alimentaire. Par contre, l’implantation de systèmes aquaponiques au Kenya fait face à plusieurs défis, notamment la disponibilité de l’électricité en milieu rural, les coûts et l’accès à la nourriture pour les poissons, les coûts importants d’investissement et le manque d’expertise.

Changements climatiques, utilisation des terres et eau

Après la croissance démographique, les changements climatiques seront les deuxièmes à avoir un impact considérable sur la sécurité alimentaire. On estime que les changements climatiques seront plus marqués dans les pays en développement, notamment en Afrique Sub-Saharienne à cause de la température déjà élevée dans cette région, des précipitations rares et de l’économie fragile. Les changements climatiques impliqueront une augmentation des périodes de sécheresse, des inondations et des événements climatiques extrêmes. Tout cela aura un impact sur la disponibilité de l’eau et des terres cultivables, sur la santé des humains et sur les infrastructures. Considérant que 60 à 90 millions d’hectares de terre subiront des sécheresses extrêmes, la demande alimentaire croissante ne pourra pas compter sur l’augmentation du rendement de l’agriculture traditionnelle, d’où l’importance d’alternatives comme l’aquaponie.

Il n’existe pas de solution parfaite à l’insécurité alimentaire. Toutefois, l’aquaponie pourrait constituer un apport nutritionnel considérable dans l’alimentation et augmenter la résilience des pays africains face aux changements climatiques. En Afrique, l’aquaponie devient de plus en plus répandue et permet d’améliorer la sécurité alimentaire des habitants. Les principaux freins à son implantation à grande échelle sont les coûts importants d’investissement, le manque d’expertise et la disponibilité de l’électricité en milieu rural. Pour le moment, l’aquaponie ne peut pas subvenir à elle seule aux besoins alimentaires de la population mondiale croissante. Elle constitue une solution complémentaire aux méthodes traditionnelles puisque sa capacité à soutenir la culture de tous les aliments essentiels de base n’a pas encore été démontrée et qu’elle ne peut être faite qu’avec certaines espèces de poissons.

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