La crise climatique est injuste pour les femmes des zones rurales, selon une experte de la FAO spécialisée dans l’égalité des genres

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Les communautés rurales du monde entier sont aux prises avec des difficultés croissantes sous l’effet de la crise climatique. À mesure que les catastrophes gagnent en fréquence et en gravité et que les conditions environnementales se durcissent, le fardeau qui pèse sur ces communautés devient de plus en plus écrasant. Cependant, croit savoir Lauren Phillips, directrice adjointe de la Division de la transformation rurale et de l’égalité des sexes de la FAO, dans une interview parue dans le site internet de la FOA que ce sont les femmes qui subissent les conséquences les plus lourdes, notamment en termes de pertes financières.

Jusqu’à présent, aucune étude ne s’était aventurée à quantifier les coûts monétaires engendrés pour les femmes par le stress thermique, les inondations ou les sécheresses. Le rapport récemment publié par la FAO, intitulé The Unjust Climate : Measuring the impacts of climate change on the rural poor, women and youth (Injustice climatique : mesurer les incidences du changement climatique sur les pauvres, les femmes et les jeunes des zones rurales), montre les répercussions disproportionnées du changement climatique sur les pauvres, les personnes âgées et les femmes des zones rurales dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Il révèle que les ménages agricoles dirigés par des femmes accusent des pertes de plusieurs milliards d’USD, creusant encore l’écart de revenus entre femmes et hommes.

Afin d’approfondir les conclusions du rapport au sujet de la dynamique femmes-hommes ainsi que des difficultés rencontrées par les femmes des zones rurales dans un contexte de changement climatique, le service de presse de la FAO s’est entretenu avec Lauren Phillips, Directrice adjointe de la Division de la transformation rurale et de l’égalité des genres de la FAO.

Quelles sont les principales conclusions du rapport de la FAO sur l’injustice climatique en ce qui concerne les femmes ?

L’inégalité de genre détermine en grande partie la capacité d’adaptation des femmes face au changement climatique. Chaque année, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, sous l’effet des chocs climatiques que sont par exemple le stress thermique ou les inondations, les agricultrices et les ménages dirigés par des femmes accusent des pertes très importantes, qui dépassent celles subies par les ménages dirigés par des hommes. Ce rapport quantifie une partie de ces pertes.

Par exemple, dans le cas du stress thermique, les ménages dirigés par des femmes subissent des pertes annuelles de revenu 8 pour cent plus élevées que les ménages dirigés par des hommes. Cela correspond à 37 milliards d’USD par an. C’est beaucoup d’argent. Les inondations se traduisent elles aussi, chez les ménages dirigés par des femmes, par des pertes de revenu supérieures de 3 pour cent (16 milliards d’USD par an au total) à celles accusées par les ménages dirigés par des hommes.

Nous parlons ici de cas où les ménages perdent déjà beaucoup sous l’effet du changement climatique. Mais lorsque ces ménages sont dirigés par des femmes ou lorsque les parcelles concernées sont gérées par des femmes, les pertes sont encore plus grandes.

Le rapport montre aussi que si le changement climatique augmente de 1 °C supplémentaire, les ménages dirigés par des femmes pourraient perdre 34 pour cent de leur revenu en plus par rapport aux ménages dirigés par des hommes. C’est une perte absolument énorme pour des ménages déjà pauvres qui ont du mal à trouver chaque jour des quantités suffisantes et saines de nourriture pour leur famille.

Comment la FAO a-t-elle pu faire ces calculs et aboutir à ces chiffres ?

Le rapport se base sur des données issues de 24 pays à revenu faible ou intermédiaire de cinq régions, et s’appuie sur 70 années de données climatiques quotidiennes, mises en correspondance avec les revenus de plus de 100 000 ménages. Ce qui signifie que nous avons disposé de données pour pratiquement un milliard de personnes. Nous avons pu estimer à quel point les pertes étaient plus importantes pour les ménages dirigés par des femmes.

En cas de sécheresse, par exemple, comment la situation d’une agricultrice diffère-t-elle de celle d’un agriculteur ?

Prenons l’exemple d’une femme qui ne disposerait peut-être pas de l’irrigation dans son exploitation. Le rapport que nous avons publié l’année dernière, intitulé La situation des femmes dans les systèmes agroalimentaires, montre que dans les pays où le recours à l’irrigation est plus largement répandu dans l’agriculture, les femmes ont beaucoup moins de chance que les hommes d’y avoir accès.

On peut donc imaginer une agricultrice, sans eau sur sa terre, qui de surcroît n’a peut-être pas reçu les nouvelles semences qui auraient pu lui éviter certaines pertes dues à la sécheresse : par rapport à un agriculteur, elle doit travailler plus durement et plus longtemps et fournir des heures de travail supplémentaires pour essayer de s’adapter au changement climatique, face auquel, sans accès à ces ressources et technologies, elle a sans doute du mal à maintenir son activité à flot.

Le changement climatique augmente aussi le nombre d’heures que les femmes doivent travailler, et comme elles effectuent déjà la plus grande part des soins dans presque tous les pays du monde, cela ne fait qu’exacerber la situation. En moyenne, les femmes passent quatre heures par jour à effectuer des soins et des travaux domestiques non rémunérés, tandis que les hommes y consacrent moins de deux heures. Ainsi, le changement climatique peut alourdir la charge des tâches que sont par exemple la collecte de l’eau et du bois, ou de toute autre activité de soin nécessaire au maintien d’un ménage ou d’une exploitation agricole.

Quelles sont les causes profondes de ces disparités ?

Dans le rapport de l’année dernière, nous avons analysé de nombreuses inégalités de genre, et celles-ci restent très présentes. On constate des disparités en ce qui concerne la rémunération du travail dans l’agriculture et les systèmes agroalimentaires, la productivité des parcelles, et l’accès à la terre, aux technologies mobiles et aux services financiers.

Mais en plus de cela, les femmes et les filles sont confrontées au sein des systèmes agroalimentaires à des normes sociales discriminatoires persistantes qui limitent parfois la quantité de travail qu’elles peuvent effectuer en dehors de chez elles, ou la distance qu’elles peuvent parcourir pour aller travailler. Ainsi, si l’on additionne les écarts matériels et les inégalités résultant des normes sociales discriminatoires, il devient très difficile pour les femmes d’obtenir le même niveau de résultats que les hommes dans les systèmes agroalimentaires.

Qu’est-ce qui peut être fait pour changer la situation ?

Nous avons beaucoup d’outils à notre disposition, et il existe un certain nombre de mesures efficaces au niveau des politiques. Par exemple, accroître l’enregistrement foncier et l’accès à la terre des femmes présente de nombreux avantages pour la productivité agricole, et peut faire baisser les violences à l’égard des femmes au sein des ménages et améliorer la nutrition des familles. L’adoption d’une approche qui cible à la fois les écarts de ressources et les normes, autrement appelée approche porteuse de transformation en matière de genre, peut avoir une incidence positive sur la manière dont les familles coordonnent le travail et plus généralement sur l’autonomisation. Cette autonomisation peut par suite améliorer les revenus et la résilience des ménages.

En réalité, la FAO a estimé que combler les écarts entre les femmes et les hommes au niveau du travail et de la productivité pourrait avoir une incidence considérable sur le produit intérieur brut (PIB), qui pourrait augmenter de 1 pour cent à l’échelle mondiale, réduisant ainsi de 45 millions le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire. C’est là un objectif atteignable, car nous savons quelles sont les approches qui fonctionnent s’agissant d’accroître l’autonomisation des femmes au sein des systèmes agroalimentaires.

Le rapport a aussi fait ressortir que les projets et politiques axés sur l’autonomisation pouvaient grandement améliorer la résilience face aux chocs, qu’ils soient d’ordre climatique ou autres. Il a été estimé que de tels projets pouvaient augmenter la résilience aux chocs de 235 millions de familles supplémentaires. Ainsi, combler ces écarts et promouvoir l’autonomisation sont essentiels si l’on veut aider les familles et les femmes à devenir plus résilientes face au changement climatique.

Que fait la FAO pour aider les femmes des zones rurales dans le contexte du changement climatique ?

La FAO travaille en coordination avec d’autres institutions du système des Nations Unies dans différents pays afin de mettre en œuvre des projets visant à renforcer la formation et les capacités des femmes. Ces projets ont pour but d’aider les femmes à participer davantage aux systèmes et chaînes de valeur agroalimentaires, ainsi qu’à avoir accès à des technologies susceptibles de résorber les écarts susmentionnés. Des données factuelles solides sur des pays comme l’Équateur montrent comment les approches porteuses de transformation en matière de genre peuvent être utilisées par les pouvoirs publics. De plus, il y a partout dans le monde des preuves exemplaires de tout l’appui que peuvent apporter le renforcement des capacités, la formation des femmes, les écoles pratiques d’agriculture et les projets sur les chaînes de valeur.

Dans les petits États insulaires en développement du Pacifique, comme aux Palaos, la FAO a œuvré à renforcer la résilience des femmes face au changement climatique en mettant l’accent sur la chaîne de valeur du tourisme et sur d’autres emplois du système agroalimentaire. Ces pays sont extrêmement vulnérables au changement climatique et les femmes représentent une part importante de la main‑d’œuvre. Il est donc de la plus haute importance qu’elles soient dotées des compétences, des capacités et des ressources nécessaires pour être prêtes à faire face à l’évolution du climat.

Suffisamment de financements sont-ils consacrés à soutenir les femmes des zones rurales face au changement climatique ?

Seulement 6 pour cent des fonds bilatéraux destinés aux systèmes agroalimentaires sont consacrés à l’action en faveur de l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Ce n’est clairement pas assez. De plus, dans le cadre du rapport de la FAO sur l’injustice climatique, nous avons étudié les politiques de différents pays et avons constaté que seulement 6 pour cent des politiques nationales relatives au climat au titre des contributions déterminées au niveau national mentionnent véritablement la question des femmes.

Il y a donc une occasion importante à saisir pour accroître l’attention accordée à l’égalité des genres dans les politiques climatiques et agricoles, et attirer ainsi davantage d’investissements là où une action renforcée est nécessaire. Nous œuvrons sans relâche, en coopération avec différents partenaires, en faveur d’une plus grande égalité. Il s’agit pour cela d’encourager la multiplication des partenariats et des investissements ciblant tout particulièrement la réduction des disparités entre les genres dans les systèmes agroalimentaires, ainsi que la promotion de l’autonomisation des femmes au sein de ces systèmes. Nous avons désormais suffisamment de preuves de l’efficacité de certaines approches pour traiter ces questions.

Nous devrions vraiment trouver des moyens de conjuguer les financements afin de remédier de manière globale à des problèmes multiples. L’égalité des genres devrait faire partie des mesures prises pour faire face au changement climatique. Nous pouvons démultiplier l’efficacité de notre action si nous la menons de front en faveur de ces deux objectifs.

Moctar FICOU / VivAfrik

Avec le service de presse de la FAO

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