Le nouveau visage de l’agriculture marocaine

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Dossier réalisé Par Mouhammadou Diop

Le Salon international de l’agriculture au Maroc (Siam) qui s’est ouvert mardi 24 avril 2018 à Meknès est aujourd’hui la plus grande vitrine de l’agriculture du Maroc. En 13 ans, le Siam a su s’inscrire dans le calendrier des rendez-vous incontournables de l’agriculture. Et ce, aussi bien au niveau national, continental qu’international. Il se hisse au rang de premier salon agricole du Maroc et d’Afrique. La mise en œuvre du Plan Maroc vert (Pmv) lui a conféré une envergure supplémentaire et une visibilité à la hauteur du poids de ce secteur dans l’économie nationale.

Celui-ci représente jusqu’à 17 % du PIB et constitue un baromètre de la croissance.
Malgré des obstacles structurels et des résistances au changement, la stratégie de développement définie dans ce secteur au  Maroc est en train d’atteindre la vitesse de croisière. Il s’agit d’un bel exemple de constance et de continuité qui assure le succès d’une politique sectorielle. C’est en avril 2008 que le pays a adopté la stratégie du « Plan Maroc vert » afin de relancer l’économie du secteur agricole. Cette nouvelle politique a pour finalité la mise en valeur de l’ensemble du potentiel agricole du territoire à l’horizon 2020. Lancé par le Roi Mohammed VI, l’ambitieux Plan Maroc vert (Pmv) a pour objectif de faire du secteur agricole un levier prioritaire du développement socioéconomique.

Il se place dans la continuité de plusieurs chantiers majeurs sur le plan national tels que la création d’emploi, la lutte contre la pauvreté ou la protection de l’environnement avec une approche globale qui inclut l’ensemble des acteurs du secteur agricole. Le Pmv s’appuie sur un renforcement des investissements et une meilleure intégration des filières amont et aval. L’objectif est d’assurer la sécurité alimentaire et de développer la valeur ajoutée, tout en limitant l’impact des changements climatiques et en préservant les ressources naturelles. Le programme vise également à promouvoir les exportations des produits agricoles et à valoriser les produits du terroir.

Mohammed VI Aujourd’hui, à deux ans de l’échéance du Plan Maroc vert, l’heure est au bilan. Pour le ministère de l’Agriculture, les avancées enregistrées dans le secteur agricole depuis le lancement du programme en 2008 sont plus que probantes. Le plan passe désormais à la vitesse supérieure. Le PIB agricole s’est nettement amélioré en dix ans en enregistrant une croissance moyenne annuelle de près de 8%. Il dépasse 120 milliards de dirhams (DH) en 2017 (contre 75 milliards de DH en 2008). Le défi de doubler le PIB agricole à horizon 2020 pourrait être relevé avant l’échéance du programme.

Le vœu de sortir du schéma de la production brute et de se diriger vers plus de création de valeur ajoutée se concrétise. D’ailleurs, celle-ci s’est accélérée à 12% du PIB global. Elle culmine à 16% du PIB avec l’industrie agroalimentaire. Cela marque ainsi avec les tendances historiques du secteur où la valeur ajoutée se limitait à 5%. De plus et tout le monde en convient, le secteur agricole constitue un poids économique et social colossal. Premier pourvoyeur en main d’œuvre, plus de 9 millions de ruraux dépendent de l’agriculture.

Elle représente ainsi un des enjeux majeurs en termes sociaux, de consommation et de développement durable. Sans oublier sa contribution décisive aux grands équilibres macroéconomiques et la balance commerciale du pays. Le secteur pèse 11% des exportations nationales (19% en y intégrant l’agriculture et la pêche). Selon le ministère de tutelle, le niveau des expéditions agricoles a été boosté de près de 45% (durant la période 2008-2017), pour atteindre près de 24 milliards de DH en 2017.

Pluie de milliards de dirhams

Après s’être longtemps consacré à la production agricole, cette nouvelle politique sectorielle se penche également sur l’accélération de la valorisation de différentes filières, un des maillons faibles du secteur. L’organisation par filière constitue du coup, la lame de fond de la deuxième phase du Pmv. D’où, les contrats-programmes signés entre l’Etat et les interprofessions concernées. Ce qui devait impulser une nouvelle dynamique d’investissement au niveau national. Ce pari stratégique a permis de propulser les investissements publics et privés. Ceux-ci ont été multipliés par 2 entre 2008 et 2016, représentant une enveloppe de plus de 100 milliards de dirhams. La hausse notable de l’implication des bailleurs de fonds au financement du secteur agricole et l’impulsion opérée par l’Etat à travers le Fonds de développement agricole (Fda) y ont beaucoup contribué.

67 pays attendus

A sa 13ème édition, le Salon international de l’agriculture au Maroc (Siam) qui s’est déroulé à Meknès du 24 au 28 avril 2018 sous le thème «Logistique et Marchés Agricoles», est devenu un des plus grands évènements de l’Afrique et le rendez-vous incontournable de l’agriculture et des opérateurs du secteur agricole. Déployé sur une superficie de 180.000 m² dont 87.000 couverts, le Siam avait accueilli plus de 1.400 exposants issus de 67 pays et plus de 850 000 visiteurs. Véritable vitrine de l’agriculture nationale, le salon est organisé autour de neuf (9) pôles : «Régions», «Sponsors et Institutionnels», «International», «Agrofourniture», «Nature et Vie», «Produits», «Produits du Terroir», «Elevage» et «Machinisme».

Le Groupe crédit agricole du Maroc (Gcam) représente l’instrument financier principal du Pmv. Celui-ci vise à assurer un accompagnement financier des projets des deux piliers du Pmv et de l’ensemble des acteurs de toutes les filières. Sur les cinq premières années du Plan Maroc vert (2009-2013), le Gcam s’est engagé sur une enveloppe de 20 milliards de dirhams.

Le cumul des crédits octroyés par ce groupe bancaire, pendant cette période, au profit de l’agriculture, l’agro-industrie et du monde rural, a largement dépassé les 24 milliards de dirhams. Ces décaissements ont concerné toutes les filières et dans toutes les régions du pays. Pour la deuxième période 2014-2018, la banque du monde rural s’est engagée pour une deuxième enveloppe de 25 milliards de dirhams « que nous prévoyons, dit-on, de dépasser compte tenu des nombreux projets destinés à la petite agriculture, aux agrégés-, [49000 agriculteurs sont agrégés aujourd’hui], et à la poursuite de la dynamique des différentes filières de production dont les besoins en valorisation, transformation et commercialisation vont être accompagnés ».

Outre les autres banques locales, le Plan Maroc vert a bénéficié, depuis son lancement en 2008 jusqu’à 2016, de plus de 35,85 milliards de dirhams de financements publics, dont 27,88 milliards apportés par des bailleurs de fonds internationaux. Les fonds propres de l’État s’élèvent à 7,17 milliards de dirhams en plus de 800 millions mobilisés par le Fonds Hassan II.

Aujourd’hui, dans la continuité des projets menés par Feu Hassan II (la politique des barrages notamment), les mesures du Pmv visent également à contrer la raréfaction des ressources hydriques. D’ailleurs, les efforts relatifs à la généralisation des techniques d’irrigation ont permis d’économiser 400 millions de m3, à travers la mise en place de cinq barrages moyens. Mais l’amélioration de la production agricole passe également via l’utilisation des techniques appropriées : mécanisation, engrais, semences sélectionnées et protection des végétaux.

D’ailleurs, les premiers signes de la transformation dans le secteur sont déjà visibles. Avec ce niveau, le Maroc rentre dans les standards préconisés par les normes FAO. L’autre pilier cible un développement agressif d’une agriculture à haute valeur ajoutée, dite de niche, accompagné de plans agricoles régionaux. La région de Souss, par exemple, est la seule au monde où l’on trouve l’arganier, patrimoine forestier mondial.

D’ailleurs, les efforts déployés en matière de labellisation, de valorisation et de commercialisation ont contribué à la hausse soutenue des exportations en arganier depuis 2008. Aussi, l’agriculture solidaire a bénéficié d’une attention particulière en ce qui concerne le renforcement des capacités des coopératives agricoles. Vu les avancées réalisées, le programme se consacrera davantage à la pérennisation des projets lancés.

Une croissance économique soutenue par l’activité agricole

Tout compte fait, selon le Haut-Commissariat au Plan (Hcp), après une forte baisse de 12,5% durant le 4ème trimestre de l’année 2016, la valeur ajoutée du secteur primaire en volume, corrigée des variations saisonnières, a augmenté de 10,90% durant la même période en 2017. Cette évolution est le résultat d’une hausse de 13,10% de l’activité de l’agriculture au lieu d’une baisse de 13,70% une année auparavant et d’une baisse de celle de la pêche de 10,50% au lieu d’une hausse de 1,30%.

C’est dire qu’après avoir montré sa forte capacité de résilience, la stratégie agricole mise en branle depuis 2008, s’apprête à montrer une fois encore son efficacité. Car, sur le terrain, la campagne agricole 2016-2017 s’annonce sous de bons auspices.

D’après les dernières données publiées par le département de l’Agriculture, les conditions climatiques caractérisant la campagne agricole 2017/2018 évoluent favorablement, avec des précipitations abondantes généralisées sur l’ensemble du territoire national et des chutes de neige importantes dans plusieurs provinces, ce qui permettrait l’amélioration des réserves des barrages et des nappes phréatiques.

En effet, le cumul pluviométrique moyen national a atteint 281,2 mm au 12 mars 2018, marquant un excédent de 4% par rapport à une année normale, contre un déficit de 61% au démarrage de la période des semis. Les réserves des barrages à usage agricole se sont élevées à 7,3 milliards de m3, après 4,5 milliards au démarrage de la campagne, pour situer leur taux de remplissage à 55%.

En outre, les retenues des principaux barrages nationaux (à usage agricole et autres) se sont élevées à près de 9 milliards de m3 au 15 mars 2018, soit un taux de remplissage de 59%, après 37,8% deux mois plus tôt et 58,20% un an auparavant.

Par ailleurs, l’état végétatif des cultures montre une évolution satisfaisante comme le montrent les dernières images satellitaires. L’état des parcours, des jachères et des cultures fourragères continuent de s’améliorer au niveau national, ce qui devrait se traduire par une bonne disponibilité des aliments de bétail. A son tour, le cheptel montre un bon état sanitaire. Pour les provinces touchées par la vague de froid et de neige et qui présentent des problèmes d’approvisionnement en aliments de bétail, le gouvernement a mis en place un programme de distribution d’orge subventionnée.

Concernant les cultures d’automne et l’arboriculture fruitière, elles connaitront un bon rythme de développement. Pour rappel, sur une surface de sol travaillée de 4,93 millions d’ha, la superficie emblavée pour les cultures d’automne s’est située, au milieu du mois de janvier 2018, à 4,68 millions d’ha (dont 10% en irrigué), dominées par les céréales (à hauteur de 88%), suivies des fourrages (8%) et des légumineuses (4%).

Pour les cultures sucrières, la superficie semée est d’environ 48.300 ha pour la betterave à sucre et de 12.409 ha pour la canne à sucre. Pour les semences certifiées, leurs ventes ont porté sur un volume de 840.000 quintaux. En matière d’échanges avec l’extérieur, la valeur des exportations du secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire a progressé de 2,5% au terme des deux premiers mois de l’année 2018, tirée par la croissance des ventes à l’étranger de l’industrie alimentaire de 1,9% et de celles des secteurs d’agriculture, sylviculture et chasse de 1,6%.

Un modèle qui séduit

Logique que de par son caractère innovant, le Pmv continue de séduire de nombreux pays africains. Il s’exporte désormais vers un grand nombre d’entre eux surtout pour sa dimension à la fois sociale et environnementale. Le Sénégal, le Mali, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Gabon ont exprimé leur intérêt pour le Pmv. Il faut dire les présidents respectifs de ces quatre pays, qui ont eu à prendre part au moins une fois aux Assises de l’Agriculture qui précèdent généralement la tenue de ce Salon international au Maroc, connaissent bien le Pmv.

Au-delà, en Éthiopie et au Nigeria, le royaume avait surpris plus d’un avec la mise en branle de projets chiffrés sur plusieurs milliards de dollars US. Ceux-ci mettent en avant le Groupe OCP et son modèle, appelé à développer, dans ces deux pays peuplés du continent, des unités de production de phosphates. Ainsi, au Nigeria, le Groupe OCP a conclu un accord pour développer une usine d’engrais et un réseau de distribution. Cette plateforme consistera à produire des engrais avec du phosphate marocain et du gaz nigérian. Ce partenariat conduira à terme à la création de 50.000 emplois et à la production de 1,3 million de tonnes d’engrais dans ce pays ouest-africain.

La collaboration entre les deux pays vise à sécuriser l’approvisionnement du marché nigérian en engrais à des prix compétitifs en réponse à la forte demande du marché intérieur, à partager un savoir-faire et à promouvoir l’innovation et la R&D. De plus, le géant des phosphates travaille sur l’amélioration et la remise à niveau des unités de blending (mélange d’engrais) déjà existantes sur le marché nigérian.

En Ethiopie, le n°1 mondial des phosphates a conclu un partenariat de plus de 2,4 milliards de dollars US, pour la construction d’une usine de production d’engrais de classe mondiale. Sa capacité de production est de 2,5 millions de tonnes d’intrants par an, jusqu’à 2022. A cela, s’ajoute un investissement supplémentaire d’1,3 milliard de dollars US, qui permettra à la plateforme d’atteindre 3,8 millions de tonnes par an et couvrira l’ensemble des besoins en engrais des agriculteurs du pays, qui compte 100 millions d’habitants. Cette unité de production sera alimentée par de la potasse et du gaz éthiopien et par du phosphate marocain.

En outre, la multinationale marocaine a signé de nombreux accords d’approvisionnement en engrais à des tarifs compétitifs avec plusieurs autres pays du continent (Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée, Kenya,…). «En tant que groupe africain opérant à l’international, nous sommes engagés à accompagner l’Afrique vers la satisfaction de ses propres besoins tout en lui permettant de contribuer à nourrir une population en pleine croissance.

Ainsi, nous travaillons à renforcer l’ensemble de l’écosystème agricole africain, en fournissant aux agriculteurs tous les moyens nécessaires pour réussir», indique-t-on auprès de l’OCP. Ainsi, en Afrique, les importations des principaux pays consommateurs ont fortement augmenté.

Il faut dire que le phosphatier travaille main dans la main avec les agriculteurs, notamment à travers la formation, les tests agronomiques, les analyses de sols et la recommandation des engrais les mieux adaptés. Cela leur permet ainsi d’augmenter leurs rendements et leurs revenus.

Rappelons qu’en matière de formation aux bonnes pratiques agricoles, le groupe a lancé l’OCP School LAB en décembre 2016, qui se caractérise par deux composantes principales : d’une part une école itinérante qui propose des formations de sensibilisation des agriculteurs aux bonnes pratiques agricoles et adaptées aux cultures dominantes dans les régions où elle est implantée, le cacao et le riz pour la Côte d’Ivoire ou le maïs pour le Kenya ; et d’autre part, un laboratoire mobile d’analyse des sols, qui utilise les dernières technologies et permet un diagnostic de la fertilité des sols en temps réel.

Par Mouhammadou Diop Secrétaire de Rédaction – Casablanca

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