One Forest Summit : quelle place pour les communautés autochtones ?

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Par Sitsofé S. Kowouvih                   

Consacré à la protection des forêts primaires, le One Forest Summit a accueilli, du 1er au 2 mars, décideurs, scientifiques, entreprises et société civile. Les populations des forêts du bassin du Congo non plus ne manquent pas à l’appel, et elles espèrent être entendues.

Donner aux grands pays forestiers des solutions très concrètes leur permettant de bénéficier de retombées économiques tout en élaborant des politiques plus protectrices des forêts ; renforcer la coopération scientifique entre les trois bassins tropicaux du monde ; mobiliser les moyens innovants ou audacieux qu’il conviendra d’articuler et de concrétiser. Les objectifs du One Forest Summit de Libreville sont connus. Les atteindre requiert cependant de s’assurer que les communautés autochtones ne restent pas cantonnées trop loin de la table des discussions.

Une forêt, c’est une flore, une faune, un sol, de l’eau, de la lumière et des hommes. Si les cinq premiers éléments constituent des ressources, il n’en va assurément pas de même pour les hommes qui peuplent ou vivent de la forêt. Les hommes et leurs communautés – les autochtones mais pas seulement – entretiennent avec ces forêts des relations d’échanges et de symbiose qui les rendent fortement dépendants d’elles.

Bien commun

Les organisateurs du One Forest Summit de Libreville proclament d’ailleurs à juste titre – et il faut leur en savoir gré – que « les forêts tropicales rendent un service inestimable aux populations locales et à l’humanité en leur offrant de nombreuses ressources mais aussi en piégeant le carbone et en abritant des hotspots de biodiversité. »

Il serait donc  judicieux de garder présent à l’esprit cette simple réalité : si les forêts sont dans un état de préservation qui permet aujourd’hui d’envisager non pas leur restauration, mais plutôt leur conservation en tant que bien commun, c’est justement parce que les habitants de ces forêts ne les ont pas détériorées de la manière dont les communautés urbanisées ont pu dégrader leur environnement. Il est, d’un point de vue méthodologique, intéressant d’observer que les organisateurs du sommet de Libreville distinguent la participation des communautés autochtones de celle de la société civile,  indiquant par-là que celle-ci ne saurait décider pour les premières, lesquelles ont des intérêts propres qui mériteraient d’être pris en considération.

Préservation

Deux raisons au moins doivent inciter à considérer les communautés autochtones des forêts comme des bénéficiaires prioritaires de la démarche de préservation. Leurs modes de vie, mieux, leur survie, dépend de ce qui va être décidé. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’entamer un plan de refonte de l’urbanisation d’une grande ville telle que Libreville, Paris ou Djakarta sans recueillir le point de vue des représentants ou des municipalités de ces villes, et pourquoi pas des habitants,  au travers de consultations directes.

De même, on ne saurait envisager de se passer de la contribution des communautés autochtones aux éventuelles réflexions et actions. Que l’on s’abstienne d’évoquer une fois de plus l’absence de représentativité des éventuels représentants de ces communautés ! Cette question est désormais réglée et stabilisée du moins en droit avec des déclinaisons en droit national assez intéressantes.

Les modes de vie des communautés autochtones peuvent inspirer les actions et les politiques de préservation. Il est heureux de noter que le deuxième objectif de ce sommet est  « la prise en compte de pratiques traditionnelles qui permettent de protéger les espèces endémiques ». Les communautés traditionnelles sont contributrices, cela est certain mais elles peuvent l’être davantage encore. Elles sont destinataires des politiques publiques, des mécanismes scientifiques et économiques qui vont être mis en place. C’est une singularité qui doit inciter les parties prenantes à ce sommet à leur réserver une place effective autour de la table de discussions.

Modèles à approfondir

Le cadre existe et il faudra encourager les parties prenantes, en premier lieu les États, à s’en inspirer. Certaines initiatives apparaissent comme des modèles à approfondir. C’est le cas notamment de la Land Degradation Neutrality qui a déjà empêché l’émission de 12 millions de tonnes de CO2 et a financé, par exemple, le programme Komaza au Kenya. Ce programme a permis aux petits exploitants de développer une activité de micro-foresterie durable, participant ainsi à la régénération de la faune et de la flore locales tout en s’assurant un revenu. Il conviendrait dans cette perspective d’en étendre la capillarité aux communautés autochtones.

Concrètement, l’ambition affichée du One Forest Summit de Libreville est la mise au point d’une plateforme de solutions scientifiques et économiques pour aider à concilier protection des forêts et développement économique des « grands pays forestiers ». À cette nouvelle dénomination il faudra trouver une signification qui soit en adéquation avec la coopération scientifique solidaire envisagée. Les grands pays forestiers désignent-ils uniquement les pays forestiers du Sud ? Ceux de la ceinture équatoriale (bassin du Congo Ogoué, Amazonie et Bassin du Mékong) ? Quid par exemple de la forêt côtière continentale de Colombie-Britannique (Canada) ou encore de de l’immense Taïga du pôle nord ? Certains espaces seraient-ils pourvoyeurs de « solutions très concrètes » et d’autres utilisateurs de ces solutions ? Nous voulons croire qu’il s’agit de collaboration. L’urgence climatique ne justifiera pas l’adoption de solutions toute faites, fussent-elles concrètes.

Les augures semblent bons mais n’oublions pas : les États ont des droits, la nature a des droits mais les communautés autochtones également ont des droits, surtout quand il s’agit de leur habitat et de leurs modes de vie ; des droits qu’il convient de préserver dans la durée…

Sitsofé S. Kowouvih, Docteur en droit, Président de l’Association Facultas.

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