Alain Karsenty : « Les questions de financement, enjeu le plus important » du One Forest Summit

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Le président français Emmanuel Macron a participé à Libreville, la capitale gabonaise, avec plusieurs chefs d’États d’Afrique centrale au One Forest Summit qui s’est déroulé du 1er au 2 mars 2023 et consacré à la protection des forêts tropicales dans cette sous-région du continent. Dans une interview accordée à nos confrères de Radio France internationale (RFI), Alain Karsenty, économiste et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), a fait le point sur les enjeux de ce sommet. Aux côtés de plusieurs autres chefs d’État et de gouvernement africains, le président français a abordé, le 2 mars 2023, le rôle joué par les forêts du Bassin du Congo contre le changement climatique. Ces forêts sont réparties entre Congo-Brazzaville, RDC, Cameroun, Centrafrique, Guinée équatoriale et Gabon, six pays d’Afrique centrale qui abritent le premier poumon vert de la planète devant l’Amazonie. À l’ouverture du sommet RFI a rencontré Alain Karsenty.

Alain Karsenty, quel est l’enjeu principal de ce Sommet ?

Je crois que l’enjeu le plus important, ce sont les questions de financement, trouver les moyens de financer des pays comme le Gabon par exemple qui, aujourd’hui, ont très peu de déforestation et qui, du coup, ne sont pas très favorisés par les mécanismes qui existent. Les mécanismes qui existent au niveau onusien, ce sont plutôt des mécanismes qui rémunèrent les pays qui baissent la déforestation, c’est-à-dire qu’il faut déjà avoir un fort niveau de déforestation et on peut recevoir des rémunérations s’il y a une baisse vraiment sensible de la déforestation. Comme au Gabon, il y a vraiment très peu de déforestation, il est très clair qu’il y a un problème pour ce type de pays : ces derniers pensent qu’il n’existe pas d’instrument financier permettant de rémunérer de manière correcte leurs efforts de conservation des forêts.

L’enjeu aussi, c’est de protéger les forêts tropicales du bassin du Congo qui sont aujourd’hui un acteur majeur de la lutte contre le réchauffement climatique, contre le changement climatique ?

Oui. C’est tout à fait incontestable. Ce sont d’énormes réservoirs, donc des stocks de carbones dans les arbres et dans les sols qui sont absolument gigantesques. Il ne faut absolument pas les perdre sinon on aurait un réchauffement climatique qui serait incontrôlé, incontrôlable. En plus, dans le bassin du Congo, ces forêts absorbent plus de CO2 qu’elles n’en rejettent. Donc, c’est une double importance.

Un domaine qui est très abordé ici, c’est celui des finances carbones. Comment monnayer finalement cette réserve, cette capacité de captation carbone. A-t-on du mal à trouver un consensus ?

Beaucoup de pays voudraient qu’on rémunère pour des stocks de carbone sur pied. Ce n’est pas du tout accepté, il n’y a pas de mécanisme pour ça et ce n’est pas du tout accepté par la négociation internationale. Je pense que ça ne changera pas. Le Gabon ne demande à être payé pour son stock, il demande à être payé pour des absorptions supplémentaires, qu’il lie à des mesures politiques comme la création des parcs nationaux, ou l’interdiction d’exporter des grumes qui auraient fait chuter la production. Après, on peut discuter du fait qu’il y a vraiment un lien de cause à effet démontré entre ces mesures et le fait que les forêts absorbent plus de CO2, c’est une discussion qui est ouverte de ce point de vue. Mais ce qui est clair, c’est que ça ne va pas satisfaire de toute façon complètement le Gabon. C’est pour cela qu’ils veulent les vendre très chers.

Le prix de cette tonne de carbone vendue fait aussi sujet de débats. Aujourd’hui, on parle de 3 à 5 dollars. Le Gabon aimerait le vendre entre 30 et 50 dollars. Combien vaut aujourd’hui une tonne de carbone ?

La valeur aujourd’hui sur ce marché volontaire, elle est le fait qu’il y a beaucoup d’offres de crédit carbone sur le marché et qu’il y a un nombre limité d’entreprises qui effectivement veulent acheter, essentiellement des entreprises du Nord qui pour des raisons, parce qu’elles veulent afficher une neutralité carbone. Elles veulent l’afficher vis-à-vis de leurs actionnaires, vis-à-vis de leurs clients, qui achètent des crédits carbones pour dire qu’ils compensent les émissions. Elles font un arbitrage entre « combien est-ce que cela nous coûte de réduire mes émissions et combien cela me coûte d’acheter des crédits carbones pour compenser ». Et donc, vous voyez, dans cet arbitrage, si les crédits carbones sont trop chers, les gens n’achètent pas. Parce qu’au fond, ce qui nourrit ce marché, c’est que les crédits carbones ne sont pas chers. Si les crédits carbones étaient très chers, les entreprises préféreraient réduire leurs émissions parce que d’abord, cela serait plus crédible vis-à-vis du point de vue environnemental, elles seraient moins attaquées par les ONG et ça serait scientifiquement beaucoup plus solide. Donc, c’est cette raison qui fait que les prix peuvent monter. Mais c’est quand même limité par justement le fait que si les gens l’achètent, c’est que ce n’est pas tellement cher.

Avec RFI

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