Dans le bassin arachidier du Sénégal, l’agroforesterie tente de retrouver sa place

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Par Raphael Belmin & Marie-Liesse Vermeire

Du 7 février au 15 mars 2022, la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) – réseau qui fédère l’ensemble des acteurs de l’agroécologie du pays – a entrepris une grande caravane pour rencontrer les agriculteurs et agricultrices du pays.

Après les Niayes et la zone sahélienne du Nord-Sénégal, la caravane DyTAES a parcouru le bassin arachidier, une vaste zone d’agriculture pluviale située au centre du pays.

Au cours des cinq étapes réalisées dans la zone – Ndiob, Fatick, Kaolack, Koungheul et Bambey –, les personnes rencontrées ont souligné l’urgence de lutter contre la salinisation des terres et de replacer l’arbre au cœur des systèmes de culture.                              

Le bien nommé « bassin arachidier »

Quittant la zone sahélienne et pastorale, la caravane progresse vers le sud le long d’un gradient bioclimatique marqué par une pluviométrie croissante et des paysages de plus en plus arborés. Passé la ville sainte de Touba, s’ouvre le bassin arachidier, une zone d’agriculture pluviale où les communautés Sérères cultivent des céréales sèches (mil, maïs, sorgho) et des légumineuses (arachide, niébé) en intégrant des activités d’élevage.

Traditionnellement, l’arbre constituait le véritable pivot du terroir du bassin. Les champs étaient constellés d’espèces ligneuses de différentes familles (Mimosacées, Bombacacées, Combrétacées) qui fertilisaient les sols, guérissaient les populations et alimentaient le bétail.

En particulier, les acacias de l’espèce Faidherbia albida (appelés aussi Kaad) fournissent des gousses nourrissantes en saison sèche et stimulent le développement des cultures de mil et d’arachide en saison des pluies. Olivier Roupsard, chercheur au Cirad, étudie les propriétés de cet arbre depuis de nombreuses années :

« Faidherbia est l’arbre emblématique par excellence de l’agroforesterie des zones sèches : grâce à son cycle inversé, il garantit un fourrage très apprécié des animaux au moment crucial (en saison sèche) et n’entre pas en compétition avec les cultures en saison humide, ni pour l’eau, ni pour la lumière : au contraire, il les fertilise ! »

Le flan sud-ouest du bassin arachidier est bordé par les fleuves Sine et Saloum, dont les eaux rejoignent la mer au niveau du delta du Saloum. Classé patrimoine mondial de l’Unesco, ce delta est un refuge pour les oiseaux migrateurs venus d’Europe et l’un des plus grands réservoirs de mangrove d’Afrique. Il sert également de lieu de reproduction et de croissance juvénile pour de nombreuses espèces de poissons. À chaque marée haute, l’eau salée fait incursion dans les terres et se mélange à l’eau douce dans un dense réseau de chenaux, jusqu’à 100 km dans les terres. Les populations des villes de Fatick et de Kaolack exploitent abondamment le sel qu’ils commercialisent partout au Sénégal.

Déforestation, surpompage et salinisation… une note salée pour le bassin arachidier

Les personnes consultées par la DyTAES ont souligné une régression significative des savanes arborées et des mangroves du bassin arachidier. Avec l’augmentation de la population, les besoins en bois-énergie et en terres cultivables ne cessent de croître. La dégradation des ressources forestières a été amorcée par la politique d’intensification de la culture de l’arachide menée par l’État sénégalais à partir des années 1960 : abattage des arbres, recours à la monoculture et aux engrais minéraux… ces changements ont entraîné une importante dégradation de la fertilité des sols et une vulnérabilité accrue face au changement climatique.

Dans les zones attenantes au delta du Sine Saloum, la montée des océans a provoqué des intrusions marines qui ont transformé des pans entiers du territoire en zones stériles. Dans l’arrondissement de Tattaguine, le pourcentage de terres salinisées atteint plus de 40 %. Le déficit vivrier qui s’est installé a engendré une pauvreté et un exode massif des populations vers les centres urbains.

À partir des années 1990, la crise du secteur de l’arachide a conduit le gouvernement sénégalais à construire de nombreux forages et à promouvoir le maraîchage dans le bassin arachidier. Cette politique de diversification économique et alimentaire a abouti à la multiplication de petits périmètres irrigués en marge des zones habitées. Le recours au maraîchage a apporté une indéniable amélioration du cadre de vie des populations, en particulier des femmes. Il dépend toutefois d’une ressource en eau dont l’avenir se révèle plus qu’incertain. Hamet Diallo, chef de projet pour l’ONG Gret, nous alerte :

« Dans 25 ans, il n’y aura plus d’eau pour l’agriculture si nous continuons ainsi. »

Le surpompage entraîne une baisse progressive des nappes phréatiques et par endroit leur salinisation, diminuant ainsi l’accès à l’eau dans les périmètres irrigués. Un diagnostic réalisé par le Gret a estimé que la consommation en eau des populations des communes de Notto Diobass et Tassette dépasse de 593 % ce que le rechargement naturel des nappes permet.

S’appuyer sur la « régénération naturelle assistée »

Pour reconstituer les parcs agroforestiers du bassin arachidier, plusieurs projets ont recours à une technique appelée « régénération naturelle assistée » (RNA).

La RNA consiste à encourager les communautés à mettre en défens et accompagner la croissance des jeunes arbres qui apparaissent spontanément dans les parcelles cultivées. Oumar Sylla, représentant de l’ONG Symbiose, a présenté une expérience en RNA réalisée dans les départements de Nioro et de Kaffrine :

« Nous avons abandonné le reboisement qui mobilisait beaucoup de ressources et avait un taux de réussite très faible, pour adopter la RNA. »

De 2016 à 2021, le projet a permis de protéger 10 000 arbres sur une surface de 998 ha, avec moins de 800 euros par ans. Le retour de l’arbre dans les terroirs s’accompagne de nombreux effets bénéfiques : amélioration de la fertilité des sols, diminution de l’érosion, régénération de la biodiversité et retours des pluies.

L’agroécologie comme projet holistique

Les caravaniers ont rencontré des pionniers qui abordent l’agroécologie dans sa globalité. Ils interviennent de façon coordonnée dans des domaines complémentaires – agriculture, élevage, énergie, formation – à l’échelle de leur ferme ou de leur territoire.

Lors de l’étape de Kaolack, l’agroécologiste Moustapha Mbow a offert une visite du Grenier du Saloum, une ferme-école qui forme les agricultrices et agriculteurs de demain à l’arboriculture fruitière, l’élevage (bovins, caprins, oies, poulets locaux…), le maraîchage, les grandes cultures (mil, maïs, arachide) et la transformation et commercialisation des produits agricoles.

À Ndiob, les caravaniers ont été accueillis par Oumar Ba, un maire qui a fait de sa commune une référence internationale en matière d’agroécologie. Oumar Ba a exposé clairement sa vision et son engagement :

« Je souhaite faire de Ndiob une commune verte et résiliente à travers un processus de développement endogène, inclusif et respectueux des droits des personnes vulnérables. »

La commune promeut un large éventail de leviers : RNA, reboisement, énergie solaire, fourneaux améliorés, « Tolou Kër », technique du « Zaï », unités artisanales de transformation de produits locaux et conventions locales de gestion durable des ressources naturelles. L’action holistique du maire de Ndiob a été primée à Rome par la FAO et à Marrakech lors du sommet Africacités.

À Fatick, les chercheurs de l’ISRA et du Cirad ont réalisé une prospective territoriale à l’issue de laquelle ils ont identifié 8 scénarios pour l’avenir du département. La méthode prospective s’appuie sur une vision systémique des facteurs de changement d’un territoire. Elle permet de replacer la transition agroécologique dans un processus de changement plus vaste.

Des idées plein les têtes, la caravane quitte le bassin arachidier et continue sa progression vers le Sud. Prochaines et dernières étapes : la Casamance et le Sénégal oriental.

Laure Brun Diallo (Enda Pronat), Mame Farma Ndiaye Cissé (Isra), Banna Mbaye (Isra), Dienaba Sall Sy (Isra), Louis-Étienne Diouf (AgriSud International), Ousseynou Dieng (AgriSud International), Jean-Michel Sene (Enda Pronat), Thierno Sall (Enda Pronat), Mamadou Sow (Enda Pronat) et Malick Djitté (Fongs) ont collaboré à l’élaboration de cet article.

Raphael Belmin, Chercheur en agronomie, photographe & Marie-Liesse Vermeire, Chercheuse en écologie du sol, CIRAD

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