Les Ivoiriens veulent concilier reboisement et culture du cacao

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Par Yousra Gouja

La Côte d’Ivoire est lancée dans un ambitieux plan d’éradication de la déforestation. Tandis que le gouvernement cherche à associer les financiers privés, il doit régler le délicat problème des populations installées illégalement sur des parcelles destinées à la reforestation.

Alors que la Côte d’Ivoire a perdu 90 % de ses forêts depuis le début du XXe siècle, le pays ambitionne de revenir à un taux de couverture forestière de 20 % à horizon 2030. Ce qui représente 6,5 millions d’hectares recouverts par une forêt, contre 3,4 millions en 2015.

L’initiative Cacao et Forêt vise à mettre fin à la déforestation imputable, en grande partie, à la culture du cacao. La Côte d’Ivoire aurait perdu chaque année 275 000 ha de surface forestière entre 1990 et 2000 ; elle n’aurait perdu « que » 26 000 hectares en 2021.

« Les populations sont invitées à signer un contrat avec l’État, sous certaines conditions : payer une redevance annuelle, planter des arbres forestiers, ne plus couper la forêt, etc. En cas de non-respect de ces dispositions, elles sont amenées à sortir de la forêt classée. »

La phase pilote (2018-2020) a permis d’enregistrer des acquis comme la mise à disposition des données cartographiques des forêts classées et des aires protégées. Pour la période 2022-2025, il s’agit de chercher des ressources pour l’opérationnalisation du Système national unifié de traçabilité du cacao et du Système national de surveillance des forêts et d’alerte précoce de la déforestation.

Les efforts du pays pour éradiquer la déforestation sont multiples, autour de trois zones d’interventions. En premier lieu, les parcs nationaux et les réserves ; ils font partie du domaine public et la présence humaine y est interdite : aucune plantation agricole n’est autorisée, dans le but de préserver la biodiversité. En deuxième lieu, on retrouve les forêts classées : ce sont des zones protégées mais à vocation d’exploitation forestière, selon un plan d’aménagement précis. Toutefois, des populations sont installées illégalement dans certaines forêts classées ; et 15% de la production nationale de cacao en est issue. On les retrouve principalement à l’ouest du pays.

En troisième lieu, le domaine rural est géré par les communautés et l’agriculture qui est pratiquée est, cette fois, légale.

Un apport économique

La société de développement des forêts, Sodefor, gère les forêts classées. Fousséni Diarra, technicien spécialiste des semences, rappelle l’utilité des arbres pour les cacaoyers : « Depuis 1997, nous élaborons des parcelles avec arbres et cacaoyers au même endroit. Avec les arbres, les cacaoyers sont protégés car les cacaoyers n’aiment pas le soleil. Plus il y aura des arbres, plus il y aura de cacao. »

Laurent Tchagba, ministre des Eaux et forêts, précise la méthode : « L’État a beaucoup de priorités. Avec l’appui du secteur privé, nous comptons atteindre notre objectif de restauration du couvert forestier. Nous faisons appel par exemple aux entreprises telles que Siat, Nestlé, Olam, Cargill etc. Une grande partie des financements seront partagés par ces acteurs. »

Le coût de la mise en œuvre de l’ambitieuse Stratégie de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts (SPREF) est de 616 milliards de F.CFA, soit 940 millions d’euros. C’est pourquoi le ministre Laurent Tchagba lance un appel à tous ses partenaires en Europe – institutionnels et privés –, pour nouer des partenariats et ainsi faire en sorte que chacun contribue à ce chantier essentiel pour la biodiversité en Afrique de l’Ouest.

Ces partenariats doivent permettre d’apporter à la Côte d’Ivoire un appui financier, mais aussi des compétences et de la formation sur le terrain ; le pays s’inscrit dans une dynamique mondiale. Le règlement européen sur la déforestation importée et l’initiative d’Abidjan (Abidjan Legacy program) représentent une opportunité d’accélération de la mise en œuvre des actions de la SPREF et de l’ICF.

Dorénavant, la Côte d’Ivoire organise les forêts classées en quatre catégories. Sur les forêts classées dégradées à moins de 25%, aucune implantation humaine ne sera autorisée. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été érigées en aires protégées (Bossématié, Mabi-Yaya).

Sensibilisation des populations

Puis figurent les forêts moyennement dégradées (taux de dégradation compris entre 25% à 75%), c’est-à-dire les forêts qui sont réhabilitées à travers le reboisement principalement. Et les forêts classées fortement dégradées (taux de dégradation supérieur à 75%) ; couvrant une superficie d’environ 2 millions d’hectares, elles sont éligibles au régime de la concession en partenariat avec le secteur privé. Ces forêts peuvent être érigées en  agro-forêts. Dans les agro-forêts, l’agriculture est autorisée, mais sous le régime de l’agroforesterie. Et enfin, sont mises à part les forêts classées de savanes, qui sont généralement bien conservées. Et pour cause : elles n’abritent pas de plantation de cacao.

Certaines populations se sont donc installées illégalement sur les parcelles de forêts. « Ils vivent sous des bâches peu solides. Avec la SPREF, au lieu de les chasser, nous les invitons à pratiquer l’agroforesterie et à protéger les arbres forestiers. Beaucoup n’ont pas l’information », indique Fousséni Diarra.

Le colonel Inza Minef, conseiller technique du ministre, en charge de l’initiative cacao et forêts, précise que les populations installées dans les forêts classées sont conscientes qu’elles y sont de façon illégale. « Elles peuvent être autorisées à y rester. Elles sont notamment invitées à signer un contrat avec l’État, sous certaines conditions : payer une redevance annuelle, planter des arbres forestiers, ne plus couper la forêt, etc. En cas de non-respect de ces dispositions, elles sont amenées à sortir de la forêt classée. »

Ainsi, « l’agroforesterie est la stratégie privilégiée pour réhabiliter les forêts classées dégradées et les forêts du domaine rural ».

De son côté, le sociologue Bazoumana Coulibaly fait observer que « sans un suivi, les stratégies sont inutiles. Ces populations pourront revenir. Il faut qu’elles s’inscrivent dans une logique de continuité. Il faut que le pays soit stable, comme aujourd’hui ».

À l’ouest de la Côte d’Ivoire, l’ONG IDEF sensibilise les populations à l’Initiative Cacao et forêts.

De nouvelles plantations agro-forestières

Le 3 mars 2023, durant le Salon de l’Agriculture, à Paris, le ministre des Eaux et forêts, Laurent Tchagba, a signé un protocole d’accord avec les responsables des sociétés Agro-Map et Dutch Green Business pour la mise en œuvre d’une étude de faisabilité pour la création de plantations agroforestières. Elle concerne des parcelles situées dans les forêts classées de Dé (Zénoula) et de Niouniourou (Lakota) en vue de la génération de crédits carbone.

Les parties vont collaborer dans les domaines de la protection, la restauration, la conservation des forêts ivoiriennes, la création et la gestion sylvicole des reboisements.     

Yousra Gouja – Journaliste indépendante

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